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lieu, d’ailleurs, qu’aux anniversaires solennels, aux baptêmes, aux premières communions. Jamais on ne la trouvait oisive, étant persuadée que toutes les heures du jour sont à peine suffisantes au bon gouvernement du ménage. Et si quelque devin, dans le miroir magique des contes sur le cristal duquel on entrevoyait l’avenir, lui eût montré ce qu’est la journée d’une de ses arrière-petites-filles d’aujourd’hui, — courses dans les magasins, thés, visites, vernissages, premières, la hâte, la trépidation, les papotages, le désir irraisonné d’être partout où vont les autres, de voir les mêmes choses, de rester chez soi le moins possible, de lire son nom dans les journaux mondains, joie suprême, — la bonne aïeule en serait tombée d’incompréhension, d’effroi et de fatigue.

On n’entreprend point ici l’éloge suranné du « bon vieux temps ; » mais puisqu’il est urgent de nous accommoder de certaines réformes à nos mœurs d’avant-guerre ; puisqu’un obligatoire changement s’impose à l’optique universelle et que l’effort de ceux qui n’ont pas eu à combattre va commencer dès que sera terminée la tâche glorieuse de nos défenseurs ; puisque, enfin, le but unanime est de restituer à notre France sa souveraineté jadis incontestée, il n’est pas tout à fait oiseux de démêler de quels élémens se composait le charme qui lui avait valu la royauté des nations et de rechercher en quoi consistait cette « douceur de vivre » exaltée par un mot fameux qu’on a cité jusqu’à l’abus, sans nous mettre en mesure d’en apprécier la valeur et d’en comprendre pleinement la justesse. Joubert disait : « Il ne peut y avoir de bon temps à venir que celui qui ressemblera aux bons temps passés, » et, pour rendre à notre pays sa bonne vieille renommée et tout son prestige, il n’est pas besoin de chercher des modèles et des leçons ailleurs que chez nos pères.


Ce par quoi nous séduit la lecture des mémorialistes et des chroniqueurs de la société d’autrefois, c’est, d’abord, l’absence de toute prétention, de toute emphase, la simplicité des habitudes décrites, le ton familier des gens, exempt de morgue, d’affectation ou, comme nous dirions, « d’esbrouffe. » L’ancienne France était simple, ce qui n’est pas l’indice de peu d’esprit.

On objectera Versailles, manifestement créé pour la magnificence et dont nous n’imaginons pas facilement les habitans