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pas agraire : et elle a premièrement, ou elle aura ce caractère jusque chez les Slovaques du Tatra, et partout où il y a quelque tribu ou quelque famille slave, fût-ce en plein fief magyar, et jusqu’aux portes de Budapest. La première chose que fait le paysan, quand il remue. c’est d’apporter un cordeau, de planter des piquets, et d’émietter le domaine du seigneur en parcelles. Mais si, par cet énorme corps des paysans ou par les pieds, la révolution russe est agraire, par sa tête, où trônent des « intellectuels, » des représentans en titre de l’intelligenzia, elle est idéologique, abstraite, métaphysique. Elle est d’une part spontanée et autochtone, de l’autre artificielle et importée ; elle copie et elle improvise. Prenons garde à l’abstraction, à la dose « d’esprit classique, » pour parler comme Taine, qui s’épanche d’une douzaine de cerveaux cultivés dans une centaine de millions de cervelles incultes, surtout si ce sont des cervelles slaves, avec ce que la nature russe y met d’immense, d’infini et comme d’effréné. Disons-le nettement, dans l’intérêt de l’Entente, dans notre intérêt, dans celui de la Russie et de la révolution russe elle-même. Il y a dans la révolution russe, comme il y en a fatalement en toute révolution, des symptômes aigus d’anarchie. Rien n’est perdu, ni même sérieusement compromis, tant que l’armée est intacte, et pourvu qu’elle le soit. Mais assez de régimens qui, chef et musique en tête, avec canons, bannières, banderoles et pancartes couvertes d’inscriptions, l’intention en fût-elle chaudement patriotique, viennent défiier devant la Douma ; assez de promenades militaires. Ce n’est pas à Pétrograd, sous les fenêtres du Palais d’Hiver, c’est vers Riga, face à l’ennemi dont Hindenburg, avec un entêtement sournois, accumule les masses, c’est sur le Stokhod où il attaque, qu’est la place de ces guerriers. Il faut qu’ils y retournent au plus vite, et qu’ils y restent. Car il y a la guerre, et la révolution russe ne sauvera la Russie, elle ne se sauvera elle-même que par la méditation continuelle, par l’obsession de cette pensée. Il y a la guerre, et l’Allemagne impériale, cherchant ce qu’elle va dévorer, rôde et jette à tous les vents la semence d’une paix empoisonnée. Tous ses commis voyageurs sont en chemin : socialistes avec Sudekum, professeurs amateurs de diplomatie comme Schliemann, hobereaux comme le baron Viettinghof ; il y en a à Stockholm, il y en a à Copenhague; déjà ils font leur déballage ; et déjà peut-être, autour de cette camelote, deux ou trois badauds se sont assemblés. Disons-le encore nettement, la franchise étant le plus impérieux des devoirs d’amitié : il faut qu’il soit coupé court à ces colloques. Ce sera user d’une