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famille impériale, nombreuse, richement apanagée et avantagée de toute façon, une aristocratie pour qui le titre était tout ensemble titre de noblesse et titre de propriété, une bureaucratie où une race se perpétuait en une caste, et qui, extérieure en quelque manière, par ses origines, par ses attaches, par ses relations, à l’État qu’elle dirigeait, y avait accaparé et exercé pratiquement le pouvoir depuis trois siècles, il était inévitable qu’il y eût, sinon des tentatives, du moins des intentions de contre-révolution. En somme, la révolution russe aura contenu à la fois une réforme parlementaire, une insurrection populaire, un pronunciamiento militaire ; elle a été, ou on la pousse à être, ou elle penche à devenir démocratique, démagogique, jacobine, antireligieuse, agraire.

Les signes favorables y abondent, les signes défavorables n’y manquent pas. Il y a à louer et à espérer; il y a à blâmer et à craindre. La Douma poursuivait un objet prochain et précis : obtenir un gouvernement, c’est-à-dire, sous le Tsar, tout simplement un ministère qui fût l’expression de l’opinion nationale ; en d’autres temps, on aurait dit : elle voulait que la Charte fût une vérité. Elle voulait transformer doucement l’autocratie absolue en monarchie constitutionnelle. Elle voulait introduire une règle dans l’arbitraire souverain. Elle eût pris, de préférence ou par transaction, pour type : 1830, et se fût accommodée, Nicolas II ne pouvant souscrire à cette diminution de pouvoir sur sa tête, de l’abdication soit en faveur du grand-duc Alexis, soit en faveur du grand-duc Michel. C’est pourquoi le moment où il a dépendu du grand-duc Michel d’accepter ou de refuser l’héritage venu inopinément, quitte à faire ensuite autoriser le legs par une consultation solennelle du peuple russe et à se le faire délivrer par une Constituante, a été un moment unique. À ce point-là, à ce moment seul, la Révolution pouvait être fixée. Mais le choix a-t-il vraiment jamais dépendu du grand-duc ? Derrière la Douma, n’a-t-il pas vu la menace des autres élémens, des facteurs proprement révolutionnaires, et ce qui est arrivé au grand-duc Nicolas Nicolaïévitch pour le commandement suprême des armées ne justifie-t-il pas sa résolution négative ? Une réforme parlementaire se satisfait d’un 1830, une insurrection populaire s’arrête rarement à un 1789; quant à un pronunciamiento militaire, si la discipline la plus rigoureuse n’est pas immédiatement restaurée, on ne sait jamais où il va. La révolution russe n’a pas pu, aucune révolution ne peut se soustraire à la loi de toute révolution, qui est de se dépasser elle-même. On ne fait pas sa part au ferment