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cœurs, c’est le secret de cette France qu’elle aime ; et elle ne le chercherait pas ainsi si elle ne l’avait déjà trouvé.

Et d’autre part elle apporte, comme Santayana, à sa patiente recherche le détachement, l’absence de préjugés, la lucide intelligence abstraite de cet esprit américain supérieur, presque impersonnel à force d’indétermination nationale, tant il est fait d’apports divers. Le chef-d’œuvre de cet esprit d’intellectualisme impartial appliqué à l’analyse d’un peuple est peut-être l’admirable livre de Brownell : French Traits. Avec l’émotion en plus, les trop courtes pages de Mme Wharton ne sont pas moins pénétrantes. Je ne la suivrai pas dans les descriptions de ces Voyages au front, que connaissent déjà les lecteurs de cette Revue. Mais qu’ils veuillent bien lire le chapitre inédit qui les termine et les résume : The Tone of France. Ils y trouveront sur l’âme de ce pays des observations d’une précise et sûre justesse.


Tel est, brièvement, l’apport de l’Amérique à la littérature de cette guerre, depuis la description toute nue du réel jusqu’à l’interprétation abstraite des idées qu’il dissimule. Implicitement ou explicitement, tous ces écrivains expriment, on l’a vu, avec les réactions variées de l’âme ou du cerveau de leur pays, une pensée identique, qui est la reconnaissance, obscure ou claire, du rôle symbolique que joue la France dans ce conflit, dont elle est le centre et le protagoniste, et qui par elle s’illumine. Leur éloignement comme leurs sympathies, la structure de leur cerveau comme les problèmes de leur destinée, font d’eux les témoins peut-être les plus précieux de cette lutte ; et leur témoignage éclaire non seulement le présent, mais l’avenir. Dans cet avenir du monde où le rôle des Américains va être si grand, quelle part jouera la claire conscience de la signification pour eux, pour tous les hommes, de la lointaine tragédie à laquelle ils se mêlent enfin ? Vont-ils, désormais, comprendre tous les paroles et les images que leurs écrivains leur ont apportées ? Sentiront-ils tous la portée universelle de ce drame immense ? Ou, au contraire, se réduira-t-il pour eux à une simple querelle nationale ? Dans quelle mesure la prédication de leurs écrivains descendra-t-elle dans leur conscience et révélera-t-elle à leur âme le vrai sens de ses destinées ? L’immense émotion qui en ce moment parcourt l’Amérique pourra bien être une lumière dans celle voie de découvertes où elle a si