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Et ce courage des femmes, il le touche du doigt, lorsqu’on l’emmène à Reims, à travers les rians vignobles, cultivés comme en temps de paix :


« Comment ! elles osent travailler ici sous le bombardement ? demandai-je. — Oui, répondit le capitaine X… Lorsque le bombardement commence, elles se couchent à plat ventre. Lorsqu’il est fini, elles se relèvent et continuent leur travail. On se fait à tout. Et puis les batteries ont leurs habitudes, comme les gens. Elles tirent, à certaines heures, un nombre déterminé de coups. Ces femmes finissent par les connaître : elles y adaptent leur existence. Le courage ne manque pas. De temps en temps, il y en a une qui y passe.


Autour de la cathédrale que les bombes intermittentes s’amusent diaboliquement à émietter, sans rime ni raison, la vie continue aussi sous l’ombre de la mort qui vole :


Une vieille femme vendait des cartes postales dans une boutique épargnée par miracle. Je regardai avec étonnement l’écroulement des murs massifs, les torrens de pierres éboulées, et lui dis : « Comment ! vous n’avez pas peur de rester là ? — Peur ? A quoi bon ? monsieur. On ne meurt qu’une fois. »


Plus loin, dans les tranchées, vers Bétheny, la même simplicité d’héroïsme l’accueille ; à deux pas de l’enfer des premières lignes, il voit l’annonce : « Casino de Bétheny, programme pour samedi ; » dans une église écroulée où, selon les hasards du bombardement, on déplace l’autel, il assiste à une messe, trouve partout la même fraternité confiante entre officiers et soldats, — les « Bonjour, mes enfans ! — Bonjour, mon commandant ! » joyeusement lancés sur leur passage, et partout respire l’air du front comme un élixir exaltant.

Mais là il apprend aussi quelles images se dissimulent derrière la souriante courtoisie du lieutenant X…, qui le conduit :


Toute sa famille restée en pays envahi, rangée contre un mur et fusillée, parce que le cadet, âgé de sept ans, avait caché l’épée de son père ; la sœur, nouvellement mariée et enceinte, violée par les Allemands et devenue folle. Et je compris ce qui, sous le masque de courtoisie, m’avait intrigué : la fiévreuse attente du regard qui guettait le jour où les comptes seraient réglés.