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L’image est admirable, et digne de Pascal, dont l’écrivain vient d’ailleurs de retrouver les formules. Mais il ne s’en tient pas à cette simple constatation ; et il montre très bien, avec force et avec humour tout ensemble, que l’homme véritablement homme ne peut, ni ne doit s’y tenir. Et il conclut :


L’inconnaissable est l’inconnaissable; mais ce qui est humain, c’est : 1° le connaître comme inconnaissable et ne pas le nier ; 2° avoir devant lui le « grand frisson, « l’inquiétude de cette destinée qui nous y mêle sans nous permettre de le connaître ; 3° essayer d’en entrevoir quelque chose. Or, ces trois attitudes sont essentiellement religieuses. Connaître l’inconnaissable comme inconnaissable, c’est un retour au Deus absconditus ; s’en inquiéter, c’est le respect de l’au-delà et le respect de nous-mêmes en tant que mêlés à une aventure redoutable, en tout cas sérieuse et grave ; essayer d’entrevoir, c’est l’élévation, c’est la prière, non en tant que sollicitation, mais en tant qu’effort pour approcher, non en tant que sollicitation, mais en tant que sollicitude.


Et cela même ne suffit pas à Émile Faguet. Car il n’a pas compté dans « les trois attitudes que la philosophie de l’inconnaissable donne à l’homme sérieux » « la tendance à croire à une formule unique. » Et il ajoute, bien profondément, selon moi : « Le monothéisme trouve un concours beaucoup plutôt qu’un obstacle dans la philosophie positive, et l’on peut même dire et l’on doit dire que le monothéisme commence et commence naturellement où la philosophie positive s’arrête. »


C’est parmi ces hautes et bienfaisantes pensées que vieil- lissait Émile Faguet. Elles expliquent et elles pouvaient nous faire pressentir son évolution et ses dispositions finales. La guerre d’ailleurs, qui l’avait remué et troublé jusque dans les fibres les plus intimes de son être, avait encore attendri son positivisme, et dans ses articles des deux dernières années, se faisaient jour des idées et des sentimens qui, jadis, eussent un peu surpris sous sa plume. Le moraliste achevait de se dégager et de s’épurer en lui. Ses leçons n’auront pas été perdues. Plus lentement, moins impérieusement que d’autres, mais aussi sûrement, il aura conduit les générations nouvelles dans les grandes voies royales de l’idéalisme français.

Victor Giraud.