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pour tenter de cette œuvre et de cette pensée une définition suffisamment exacte.

On n’en pourrait dire tout à fait autant des livres où l’auteur des Politiques et moralistes a enfin résolument abordé les questions morales. Jusqu’à ces dernières années, pour des raisons sans doute complexes, et que, pour mon compte, je n’ai jamais bien réussi à démêler, il évitait visiblement ces questions ; il se refusait à les envisager et à les traiter de front ; il se contentait, çà et là, à propos des travaux d’autrui, de jeter en courant de rapides aperçus, qu’il était assez malaisé de relier en un corps de doctrine. Et l’on se demandait s’il s’en tiendrait éternellement à cette prudente et volontaire réserve. Or, les années s’écoulaient ; la vieillesse venait ; comme tant, d’autres avant lui, Emile Faguet éprouvait le besoin, avant de mourir, de s’interroger loyalement sur les plus hauts problèmes que puisse agiter l’intelligence humaine et de nous laisser le résultat de ses méditations. De là ses livres sur la Démission de la morale et sur les Préjugés nécessaires ; de là aussi ces « discours de distribution de prix, » comme il les appelait trop modestement, et qu’il avait intitulés les Dix commandemens. Morale théorique et morale pratique, il a, cette fois, examiné la question sous tous ses aspects, et l’on peut, à l’aide de ces diverses publications, se représenter assez nettement l’attachante physionomie d’Émile Faguet moraliste.


II

Dans un article sur Renan, qu’il n’a pas recueilli en volume, Emile Faguet observe, fort justement selon moi, que la découverte de Schopenhauer a fait époque dans la vie intellectuelle de l’historien de la Vie de Jésus, et que la philosophie renanienne en a été comme renouvelée. Il s’est passé quelque chose d’analogue pour Émile Faguet, quand il eut « découvert » non pas Schopenhauer, mais Nietzsche. Nietzsche a été la dernière grande influence intellectuelle, la plus grande peut-être, qu’il ait subie, et il y aurait, dans une étude très développée, un fort curieux chapitre à écrire sur ce sujet. À quelle époque a-t-il lié intimement connaissance avec le philosophe allemand ? Le premier article, assez sévère, que je sache de lui, sur Nietzsche, date de 1898. Six ans plus tard, il lui