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en fuite furent massacrés sur le Danube. Napoléon s’étonna de cette victoire. L’Europe s’en réjouit ; elle assistait à la renaissance d’un peuple. Quant au sultan Sélim, il trembla et voulut négocier avec le vainqueur. Mais Kara-Georges convoqua une assemblée de tous les Serbes, où les hospodars de Valachie et de Hongrie avaient leurs représentans. Dès la première séance, le Sultan accorda à Kara-Georges le titre d’obernèze de la Serbie, à la condition que son peuple mit bas les armes. Il faisait dire aux Serbes par son émissaire : « Maintenant justice est faite ; retournez dans vos maisons ; vos troupeaux et vos charrues vous attendent. »

Cela voulait dire : « Vous m’avez débarrassé de mes pires ennemis, les Janissaires. Je vous pardonne, à la condition que vous redeveniez mes esclaves. » Sélim offrait la paix turque aux Serbes, comme aujourd’hui Guillaume II offre la paix allemande à l’Europe. La réponse de Kara-Georges fut une nouvelle proclamation au peuple qui disait : « A partir d’aujourd’hui les Serbes ne paieront plus d’impôt au divan ; assez longtemps le joug turc a pesé sur les chrétiens. Nous expulserons de leurs repaires les derniers dahis et nous nous emparerons de leurs forteresses. » Sans attendre la réponse du Sultan, Kara-Georges recommença la guerre, força les citadelles, tailla en pièces les bataillons ennemis. Alors la voix des gouzlars s’éleva pour célébrer le réveil de l’âme slave dans les Balkans :


Quand le soleil de la Serbie brille dans les eaux du Danube, le fleuve semble rouler des lames de yatagans et les fusils resplendissans des Monténégrins : c’est un fleuve d’acier qui défend la Serbie Il est doux de s’asseoir sur la rive et de voir passer les armes de l’ennemi. — Quand le vent de l’Albanie descend de la montagne et s’engouffre dans les forêts, il en sort comme des cris de l’armée des Turcs en déroute, et ce bruit est bien doux à l’oreille des Serbes affranchis. — Mort ou vivant, oh ! qu’il est doux après le combat de reposer au pied du chêne qui chante la liberté !


Sur le trône des kalifes, à l’hésitant Sélim avait succédé le terrible Mahmoud. Après la hyène, le tigre. Du cœur de l’Asie, Mahmoud rassemblait une armée innombrable et faisait fondre canons sur canons. Toutes les vieilles cloches de Serbie et du Monténégro se mirent en branle. Kara-Georges fit dire des prières dans toutes les églises et lança au peuple une