Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins intrépide. A partir de ce jour, Marko et Miloch ne se quittèrent plus, vivant et combattant ensemble, partageant joies et peines, heur et malheur comme de vrais frères d’élection. Après leurs campagnes, quand ils buvaient le vin rouge dans des coupes d’or, sous les blanches arcades du palais de Prilep, Miloch se mettait à chanter de sa voix mélodieuse la gloire des anciens et des héros illustres. Marko ne savait pas chanter ; sa rude voix ne s’entendait qu’à exciter son cheval, ses lévriers ou son faucon ou à commander dans la bataille ; mais il adorait les cantilènes de Miloch et demeurait des heures entières sous le charme de ses récits et de sa voix.

Un jour, les deux amis chassaient ensemble dans les forêts sauvages du mont Mirotch. Marko montait son cheval pie, le fidèle Charatz, et Miloch son blanc destrier. Mais la chasse était mauvaise. Dix fois les faucons s’étaient élancés en vain. Ils n’avaient pris ni cygne ni sarcelle.

— Je m’ennuie, dit Marko, et je vais m’endormir sur ma selle. Chante-moi quelque chose, mon frère d’armes.

Alors Miloch se mit à chanter de sa voix claire. Si belle était sa voix que les oiseaux de la forêt se turent pour l’écouter. Une brise glissa sur la cime des arbres et la fit frémir ; un rayon de soleil perça les nuages et fit briller les feuilles de la forêt comme des milliers de pièces d’or. Et voici que soudain, du fond des bois, une voix de femme, suave comme un chant céleste, répondit à la cantilène de Miloch, qui s’était tu.

Cette voix fit tressaillir Marko comme jamais il n’avait tressailli. Profonde, insinuante et douce, cette voix le prenait aux entrailles. Pour la première fois, il trembla. Était-ce de joie ou de souffrance, de désir ou de peur ? Il ne le savait pas, mais il tremblait.

— Qu’est-ce que cette voix ? s’écria-t-il, après l’avoir écoutée en silence.

— C’est la voix de Ravijojla, la Vila du mont Mirotch, répondit Miloch devenu pensif.

— Tu la connais donc ?

— Oh ! depuis longtemps. J’étais fort jeune quand je m’égarai dans cette montagne. Par un sentier perdu, sous les hêtres, je parvins à un étang où nageaient des cygnes plus blancs que neige. De l’autre côté, sous les branches d’un bouleau, dans un rayon de soleil, était assise la Vila. Elle tenait