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rivière. De sorte que les eaux tout entières apparaissent peuplées de cette immense flottille charbonnière.

La poussière noire qui se mêle aux fumées et flotte sur les berges pendant plusieurs kilomètres, le va-et-vient incessant de ces bennes monstrueuses s’ouvrant comme une mâchoire pour happer d’un coup dans la cale 12 ou 1 500 kilos de charbon, qu’elles élèvent dans les airs et font retomber en pluie dans les wagons, le halètement continu de la vapeur, le sifflement des remorqueurs venant enlever les péniches pleines, l’aspect sinistre des débardeurs allemands, à l’allure paresseuse, forment au milieu de ce paysage charmant une vision d’enfer.

Un nouveau bâtiment sous pavillon norvégien venant de Hull, de Newcastle ou plus probablement de Swansea s’avance majestueusement. C’est encore du charbon, toujours du charbon qui arrive. Jamais les entrées dans le port n’ont été si nombreuses, m’assure-t-on. Certains bateaux sont obligés de s’ancrer en Seine, attendant une place.

À ce sujet, je veux citer un règlement ingénieux que la Chambre de Commerce de Rouen, de concert avec le Service de navigation, élabora en mars 1915 pour faciliter le débarquement des navires aux postes nouveaux établis depuis la guerre en aval de la zone habituellement occupée. « Où n’existaient encore ni quais de maçonnerie, ni appontemens, explique dans la Revue Politique et Parlementaire M. Edmond Perrée, le très compétent archiviste de la Chambre de Commerce de Rouen, on a créé des postes d’amarrage au moyen de corps-morts formés de bouées de larges dimensions fixées à l’aide d’ancres d’une extrême résistance ; et pour donner plus de sécurité à la navigation on a installé au bord de la berge, à proximité des corps-morts, des pieux où les bâtimens ont la possibilité de s’amarrer. » Ce sont ces postes qui, joints aux ducs-d’Albe dont je parlais plus haut, ont permis de porter de 60 à 120 les emplacemens pour le déchargement des bateaux. Mais on comprend qu’un bateau ait néanmoins tout avantage à venir s’établir confortablement aux quais de maçonnerie, à proximité de la ville. Ce règlement porta donc qu’une taxe, variant de 25 à 40 centimes par tonne, serait payée par tout navire amarré à l’intérieur du port, c’est-à-dire favorisé. Les taxes ainsi perçues alimentent une caisse et sur cette caisse on prélève des primes destinées aux réceptionnaires moins heureux dont les bateaux sont déchargés aux