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pendant la guerre, l’anéantissement du deuil, l’assoupissement d’une cité qui végète en espérant des jours meilleurs, à cette frénésie de l’action qui, au surplus, ne confond pas avec la joie. C’est bientôt dit : mais on oublie qu’il n’était pas de patriotisme plus intelligent pour les civils que de doubler, de tripler l’activité économique, de créer de grands foyers de vie dont la palpitation animerait ensuite la France entière. Rouen s’est armé en place forte du commerce et de l’industrie. Pour ceux qui savent que, la paix signée, la lutte commerciale avec l’Allemagne reprendra plus sournoise que jamais, l’entreprise est un bienfait national.

D’ailleurs pendant que la vaillante Chambre de Commerce rouennaise, qui mérite d’être citée à l’ordre de la Patrie, luttait si énergiquement pour l’épanouissement de son port, et pendant que les pères dans leurs manufactures, dans leurs bureaux d’armateurs, dans leurs boutiques, travaillaient et veillaient, la jeunesse de Rouen était à son poste et se faisait décimer. Personne n’ignore plus que le 3e Corps fut un des plus héroïques. Mais ce que l’on ne saura jamais, ce sont les douleurs cachées, les déchiremens secrets du cœur qui dans la ville fébrile, saignent sous l’apparence heureuse d’un trafic multiplié. Combien de pères n’ont plus de fils ! Ils ont encore une patrie cependant. Ils se sont laissé reprendre par la grande passion des affaires qui est une des formes les plus puissantes de la vie. Rouen ne pouvait mieux honorer sa jeunesse tombée au champ d’honneur qu’en devenant la plus grande citadelle française des prospérités économiques de demain.,


Quand la Seine a quitté les dernières maisons de l’agglomération rouennaise, d’un mouvement somptueux et charmant, elle oblique vers le Sud, et vient couler, dans un paysage de fraîcheur et de pureté délicieuses, sous la colline de Canteleu. La colline de Canteleu est toute touffue l’été de taillis, d’arbrisseaux, et au sommet on voit le chapeau pointu de son clocher d’église se profiler sur l’azur en dominant les autres cimes des arbres. L’hiver, les ramures dépouillées du coteau retiennent les brumes du fleuve et se colorent comme un velours profond et sombre. Mais les lignes et les plans y prennent plus de douceur et plus d’harmonie. Dégagée là-haut, sur le sommet, la