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avertissent d’abord leur public qui s’étonne un peu, si patient qu’il soit par nature, tradition et habitude, que le mouvement de retraite n’est nullement terminé, que l’on n’est pas au bout de la stratégie de Hindenburg. Tant mieux, réjouissons-nous-en. Ce sera encore autant de gagné. Si, au bout de cette stratégie, il doit y avoir une bataille, mieux vaut pour nous qu’elle se livre plus loin de la capitale, plus près de la frontière. Et si, comme certains déménagemens, auxquels on ne se serait guère attendu, pourraient le donner à penser (mais il convient d’être prudent), l’armée allemande se repliait élastiquement jusqu’au Rhin, sans que nos pertes eussent été sensibles, jamais nous n’aurions tant loué le génie du chef et l’assouplissement du soldat. Notre retraite, conclut la presse officieuse, en forçant la note, est par elle-même une grande victoire, dont l’Empereur a fait à Hindenburg son compliment. Qui sait ? C’est peut-être vrai. Il est peut-être vrai que, pour les Allemands, ce soit maintenant une grande victoire que de pouvoir retourner en Allemagne : pour l’amour de Dieu, même du leur, qu’ils ne la laissent pas inachevée !

En somme, au trente-deuxième mois de la guerre, la situation militaire de l’Entente est bonne, sinon excellente. La prise de Bagdad par les troupes anglo-indiennes du général sir Stanley Maude, leur avance sur Mossoul, visé d’autre part par les troupes russes débouchant de Hamadan et de Kermanchah, ont fait ou font plus que de réparer le premier échec de Kout-el-Amara, et même plus que de désarticuler l’empire ottoman dont elles brisent l’épine dorsale ; elles font s’écrouler le palais féerique du rêve allemand, et coupent, avant qu’elle ait été construite, la légendaire ligne Berlin-Bagdad, insolemment prolongée en Anvers-Bagdad. L’armée de Salonique, elle aussi, s’affermit, se consolide, et l’armée d’Égypte s’assure, voit plus largement autour d’elle. C’est la situation politique, non point entre elles, mais en chacune d’elles, c’est la politique intérieure qui reste le point faible, le muscle flasque des Puissances de l’Entente. La Grande-Bretagne a la question irlandaise. Au Parlement italien, les socialistes, neutralistes ou pacifistes à outrance, n’ont pas renoncé à leurs intrigues. En France, nous avons eu une crise ministérielle. Bien que nous nous soyons imposé comme règle de négliger pendant la guerre ces sortes de sujets, nous ne pouvons pas nous taire absolument sur la raison au moins prochaine et apparente de celle-ci. Elle a été déterminée par une phrase prononcée, ou plutôt lue, ce que les puristes ont jugé singulièrement aggravant, par le ministre de la Guerre, M. le général Lyautey, à la suite du Comité secret de la