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dissimuler aucunement, à exhiber, l’abomination de la vie, de la destinée et des hommes. Ce fut un point d’honneur : il n’a rien ménagé, dût, sans qu’il y songeât, « l’humble vérité » en pâtir.

Dans les Contes de la chaumière, son premier volume, il y a des types de paysans, dessinés vite et qui sont d’une étonnante justesse. Il les a vus : les voici tels qu’il les a vus. Il les dessine et il les anime. Il les fait penser et parler. Il nous les donne à voir, à entendre. L’auteur n’est pas là : nous avons ces gaillards près de nous. Puis, soudain, l’auteur intervient. Comme s’il craignait de manquer aux devoirs de l’audace — et pourtant !… — comme s’il craignait la fadaise et la bergerie et de laisser confondre ses rudes bonshommes avec les Berrichons de Mme Sand, il va loin, dépasse la modeste vraisemblance. Quelquefois, c’est une gageure : n’en est-ce pas une ? un badinage. Ainsi, La Justice de paix, conte que j’aurai la décente hypocrisie de ne point analyser : et qui, dans son genre obscène, est excellent ; et qui — changez seulement le magistrat — serait, en vers, un conte de La Fontaine, un conte drôle et anodin. L’auteur s’amuse. Il ne s’amuse pas toujours. Il a noté, au cours d’une promenade, — Hé ! père Nicolas ! — cette résignation, stoïque ou stupide, cette « insensibilité » peut-être, des paysans devant la mort : « la mort qui pourtant fait japper douloureusement les chiens dans le chenil vide, et qui met comme un sanglot et comme une plainte au chant des oiseaux, près des nids dévastés. » C’est une idée qu’il va reprendre, ah ! mais sans faiblesse, dans un autre conte, Avant l’enterrement. Il y a là un « maît’Poivret » qui descend de sa carriole, attache son cheval, entre à la boucherie, appelle : « Y a-t-y du monde ? Hé ! Gasselin ! Où qu’t’es ? » Gasselin, son gendre. Gasselin n’est pas à la boucherie, mais en face, au café. Il s’essuie la bouche, du revers de sa main, rallume sa pipe, accourt. Les deux hommes échangent quelques propos : « Ça va-t-y comme vous v’lez ? — Ça va, mon gars, ça va tout bellement. — Faut-y donner d’ l’avoine à votre cheval ? — Pargué non ! Il a bu et mangé à c’matin. J’viens d’la foire d’Chassant, mon gars. — C’était-y une bonne foire ? — Oua ! oua ! Point tant bonne, point mauvaise itout. Les prix s’tiennent cor. » Et le maître Poivret n’attend pas plus longtemps pour dire à son gendre qu’il sait « l’malheur : » il a donné quatre litres d’avoine à son cheval et il est venu, sans dételer. « Ben oui ! Ben oui ! » répond le gendre ; et : « Vous allez p’tête ben vous rafraîchir ? — Ma foi, c’est point d’refus… » Et ils entrent au café. Le malheur, c’est la mort d’une femme, et qui était la femme de Gasselin, la fille du maître Poivret.