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son travail, retourne à cette impassibilité qui est bien le signe le plus certain d’une détermination irrévocable.

A toutes les épreuves qu’il supporte sans se plaindre s’ajoute le deuil de ses foyers. Pas de famille dont le sang n’ait été répandu, pas un habitant qui ne compte autour de soi des affections brisées. Le passant qui des hauteurs de Montmartre contemple à l’infini le spectacle grandiose de la Ville peut se dire que, dans chacune de ces maisons innombrables qui s’étendent jusqu’à l’horizon, est entré un soir le visiteur redoutable qui vient annoncer les morts glorieuses, accueilli par les réponses cornéliennes des mères et des épouses.

Telle est la somme des douleurs et des misères parisiennes. En vérité, les unes aident à supporter les autres, et il est bien clair que ce vaste rassemblement d’hommes, agité jadis de tant de passions et maintenant capable d’une si constante sagesse, n’a plus désormais qu’une pensée et qu’une volonté.

Le grand drame auquel il assiste est la seule image qu’il regarde. La Marne, l’Yser, Verdun, voilà à quoi il songe. Il se sent frappé avec les combattans, il peine, il s’élance avec eux. Les mouvemens de son âme accompagnent le mouvement des armées. Il écoute le bruit de la lutte. Cette attitude grave et réservée qu’observe au cours d’une si longue tragédie la capitale de l’Occident, évoque la grandeur légendaire de ce chœur antique qu’Eschyle nous montre partageant la douleur ou la joie des héros et dont le silence demeure si émouvant et si solennel à l’heure où son sort se décide. La beauté morale où elle s’élève vient d’avoir eu pleinement, en de tels jours, conscience des événemens. Les peuples supérieurs sont ceux dont le danger apaise l’âme et agrandit l’intelligence.


Quelle est donc cette ville à l’esprit insaisissable dont on attendait le pire et qui dans les traverses qui l’éprouvent garde si fermement la mesure ? Ce n’est point assez de dire que ce Paris libre et futile se montre étrangement courageux, il faut l’expliquer. Faisons connaître au vrai l’esprit du Parisien, et cherchons au fond de lui-même le secret de cette force d’âme.

Ceux qui prennent Paris pour une Babylone en fête dont l’habitant est badaud, mobile, railleur, et au surplus immoral, n’ont rien vraiment, à nous envier pour la futilité de l’esprit.