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d’imaginations imprévues, — est un grand Méridional, du type sec, qui a gardé de sa Gascogne natale toute la verve et un peu l’accent. Il a mis une certaine coquetterie à nous offrir un déjeuner tout à fait convenable et délectable, un déjeuner avec nappes et serviettes, fleurs sur la table et menus illustrés par un artiste du régiment. Moins d’une heure a suffi pour réaliser des merveilles. A la vérité, la salle à manger était d’un style bizarre, avec des murs en terre, un toit décoré par les araignées, une fenêtre raccommodée avec du papier, et un mobilier de fortune : lit de camp, table de tréteaux, nappe faite d’un drap, serviettes-éponges à chiffre rouge. Les fleurs ne devaient rien à l’art des fleuristes. C’étaient des coquelicots et des orchis, des mauves et des graminées, cueillies parmi les décombres. Les mouches ne manquaient pas à la fête, et l’on m’avertit, charitablement, — ou malicieusement, — que d’autres insectes, peut-être… Je frémis ! mais quoi ! la « vermine de guerre » se porte beaucoup, cette année, et les dames les plus délicates en parlent sans périphrases… Craintes vaines ! Les sales petites bêtes bulgares ne me révélèrent pas leur existence, et le repas improvisé fut des plus aimables.

Du retour à Salonique, je conserve le souvenir d’une chaleur brûlante, de cahots et de sursauts continuels sur des routes qui s’effritent en poussière que le vent soulève… Et voilà le récit très sincère de cette « visite au front » qui n’a rien eu de mélodramatique, et dont je ne saurais tirer des effets pour émouvoir mes amis, car les Bulgares m’ont enlevé une belle occasion de recevoir le baptême du feu… J’aurais tant voulu savoir si un obus m’aurait fait peur, — un seul petit obus qui, bien entendu, n’aurait fait de mal à personne !…


Mai 1916.

Une immense salle de cinéma, pleine de petits garçons et d’adolescens, qui font un brouhaha terrible, avant de s’asseoir devant l’estrade drapée aux trois couleurs, et l’écran tout sombre encore. Ces gamins rient, jasent, s’interpellent. Ils sont environ cinq cents. Grecs, Israélites, un peu Serbes, un peu Bulgares, un peu Turcs, races pures et races mêlées, ils représentent parfaitement la bizarre population salonicienne. Leur » religions sont aussi diverses que leurs origines. Orthodoxes,