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dans les bas-côtés des nefs, dans les galeries supérieures, chaque famille s’isolant un peu derrière les étoffes bariolées tendues en guise de cloison, couchant sur des nattes, étalant tout ce qu’elle possède en fait d’ustensiles domestiques, vases de terre, casseroles de fer émaillé, vieux bidons de pétrole vides. A Sainte-Paraskévi surtout, c’est un grouillement indescriptible, sous la voûte dégradée que soutiennent d’antiques colonnes aux chapiteaux admirables. Des figures hâves, dont les traits bien dessinés gardent de la finesse et de la noblesse, regardent les visiteurs avec de grands yeux brûlans de fièvre. Des mains esquissent le geste implorateur que les bas-reliefs antiques ont tant de fois reproduit, ce geste de supplication et de caresse qui touche le menton du vainqueur impassible ou de la divinité sereine. Les enfans déguenillés, blêmes, empoisonnés par le paludisme, s’accrochent aux vètemens de l’étranger, quémandant « un métallique. » Les aïeules accroupies près des berceaux de bois, suspendus par des cordelettes, se dressent tout à coup, montrent les icônes qu’elles ont emportées dans leur fuite comme Enée emporta ses dieux, et racontent leur misère dans un grec ionien, aux intonations plus douces, me semble-t-il, que le langage des Thraces et des Macédoniennes. Et l’on pense, malgré soi, aux chefs-d’œuvre que ferait, avec ce cadre et ces personnages, un romantique ressuscité, un peintre de la mort et de la fièvre, tel le Delacroix des Femmes souliotes ou des Massacres de Scio

L’aumône donnée ne satisferait pas ces misérables si elle n’était embellie d’un sourire. Souvent, une des femmes va quérir une fleur, un brin de feuillage, dans les jardinets des environs, et il faut accepter le don qu’accompagnent des paroles de bon augure, et le joli adieu qui évêque la douceur de la vie fuyante, comme pour nous inviter à la cueillir : « Que l’heure te soit belle ! Hora Kali !  »

« Hora kali !  » nous disaient les réfugiés de Sainte-Paras-kévi. « Hora hall !  » répétaient les réfugiés des Saints-Apôtres, assis dans le narthex byzantin, groupés dans la cour, sous les arbres verdissans, auprès d’un vieux puits. Là surtout, l’heure était belle. De l’autre côté de la rue, il y avait bien une chose déplaisante entre toutes, c’est-à-dire une prison, une prison close de murailles rébarbatives et de grilles puissantes, gardée par des soldats vêtus de kaki moutarde. Mais c’était une