Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensemble, car si la Kamelote règne à Salonique, c’est que nous l’y avons laissée régner. Salonique, grand débouché du commerce autrichien, aurait pu, sans doute, accueillir notre commerce comme elle accueille notre langue et notre littérature. Oui, ces étoffes, ces meubles, ces bibelots sont hideux, cette cuisine est infecte, — mais où sont les magasins français ? Quelle cuisinière française consent à s’exiler ici ?… Le gérant du Splendid-Palace me déclarait l’autre jour : « Une cuisinière française ! Je la couvrirais d’or, je la comblerais d’égards !… » Mais, comme on dit ici, « il n’y a pas. » Il n’y a dans ces hôtels que des serviteurs levantins, doux philosophes, nés fatigués, et dans les boutiques, il y a les vieux stocks de marchandises autrichiennes, bien entamés déjà, et qu’on remplace malaisément, à cause de la difficulté des transports.

Je tâche d’être équitable envers les commerçans de Salonique. Ils nous exploitent. Quels commerçans en n’importe quel pays, voyant la demande dépasser l’offre, au centuple, ne profiteraient de l’aubaine ? Leurs marchandises sont affreuses ? Cela nous donnera peut-être l’idée de leur en envoyer d’autres, de meilleur goût. Ils ne disent pas la vérité… Parbleu ! Où croyez-vous être ? Nous sommes en Orient, patrie des fables, où, seuls, les imbéciles disent, tout net et tout cru, ce qu’ils pensent, où le mensonge n’est pas un vice mais une convention, une espèce d’hommage indirect à la finesse de l’interlocuteur…

Les étrangers qui ont un peu voyagé dans le Levant, ne sont pas surpris par la camelote, l’huile rance, les mauvais lits, les discours subtils et fallacieux. Et n’étant pas surpris, ils ne sont pas dupes. Mais les néophytes, les naïfs qui croyaient trouver ici la Grèce antique, clament leur désenchantement. Ceux-là, pleins de réminiscences livresques, et vaguement renseignés sur la géographie économique et politique de la Macédoine, rêvaient de l’antique Hellade ou de l’Orient islamique, de la beauté grecque ou de la langueur orientale. Ils arrivent. Ils sont déçus. Les contours du golfe Thermaïque ont une mollesse bien éloignée du grand caractère architectural de l’Attique. La lumière, blanchâtre et plombée, ne vibre pas sur les choses, comme celle qui dore le Parthénon et tremble, en été, dans une sèche atmosphère brûlante. Les eaux n’ont pas ce bleu de lapis qui se moire de traînées violettes, dans la mer des Cyclades ; elles sont glauques de limon, et mal