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comme si on avait voulu lui ajouter des ailes. Sans cette croix, évocation de pitié, on croirait voir un train pavoisé pour la victoire !

Une exclamation vole de bouche en bouche : « L’Impératrice ! »

Sa Majesté, accompagnée des grandes-duchesses Olga et Tatiana, a voulu apporter la joie de sa présence à ceux qui s’en vont vers les asiles qu’elle leur a préparés. Vêtue de la robe de toile grise, les cheveux complètement cachés sous le voile, sans manteau malgré la soirée trop fraîche, l’Impératrice s’approche des Sœurs, tend la main aux officiers, s’enquiert de l’état des soldats…

— C’est ta jambe qui te fait souffrir ? demande-t-elle à l’un d’eux, en un russe très pur. Sois tranquille, le soleil réparera tout cela.

Les grands blessés étant déjà installés dans leurs couchettes, l’Impératrice, toujours accompagnée des grandes-duchesses, monte dans, le train et parcourt les wagons. Du fond de mon coupé, — où je me suis réfugiée par discrétion, — je cueille au passage de ravissans sourires qui, semble-t-il, m’ont reconnue. Et tout ce charme, toute cette bonté répandue, c’est déjà du soleil en attendant celui de là-bas.

Le matin ouvre ses yeux gris sur la plaine immense. Nous sommes déjà loin. Un office religieux doit être célébré dans la salle à manger du train, provisoirement transformée en oratoire. Je me hâte… Une croix orthodoxe, un évangile, deux flambeaux d’argent sont placés sur une petite table, sous une icône du Christ. Le prêtre officie déjà. Les voix graves des soldats accompagnent la liturgie. Les officiers valides se sont massés, debout, sous le portrait de l’Empereur. Sur le cuir sombre des cloisons, le voile blanc des Sœurs plaque des taches de lumière.

A chaque nom vénéré, à chaque bénédiction du prêtre, les têtes s’inclinent et les signes de croix se multiplient. Une atmosphère religieuse nous enveloppe… Quelques grains d’encens s’évaporent en fumée bleue dans une navette d’argent… A travers les fenêtres du train, on voit défiler la plaine rapide…

La cérémonie terminée, le prêtre, vêtu de la simarre, suivi d’un soldat portant une coupe d’or, passe le long des wagons