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DES TRANCHÉES
AUX PARADIS DE
LA RIVIERA RUSSE

I


(De juin à septembre 1916.)

Parmi les délices de la Crimée, enveloppée dans le prestige de son passé, comme une belle morte dans des voiles de soie, subsiste une ancienne ville tartare, séjour des Khans, au nom tout musulman de Baktchi-Saraï (le Palais des Jardins). Aucune dénomination ne conviendrait mieux à ce magnifique palais de Livadia, résidence printanière des Tsars de Russie, où la bienveillance de S. M. l’Impératrice Alexandra-Féodorovna m’a permis de pénétrer hier soir.

Depuis un an, et par à-coups si prompts qu’ils ressemblent à ces rapides transformations des enchanteurs aux récits desquels notre enfance se complut, je passe du cauchemar au rêve, de l’abattement à l’enthousiasme, des visions de douleur et de mort aux spectacles de la plus parfaite sérénité, dans cette prodigieuse Russie où tout se coudoie, se mêle, se confond pour former, en fin de compte, le plus saisissant tableau d’humanité qui soit. C’est ainsi que, des champs de bataille de Riga et de Galicie, des pentes sanglantes de Tchartorisk, des plaines de neige où s’abattaient soudain les corbeaux voraces, des hôpitaux de Tsarskoié-Sélo où sont soignés les blessés à