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— Derrière la barricade, à côté du café, vous trouverez un commandant d’infanterie. Vous lui remettrez ce billet et vous lui donnerez les indications nécessaires sur notre situation.

Voici le contenu de ce billet :


Des forces ennemies s’avancent du côté Est de Saint-Dié et vont nous contourner. Faites le nécessaire.

Signé : Sous-lieutenant ALLIER.


Après le départ du caporal Chaumont, qui malheureusement ne trouva pas le commandant d’infanterie, et fut lui-même grièvement blessé, le sous-lieutenant continua de diriger cette résistance obstinée. On lui avait dit de « tenir jusqu’au bout. » Il « tenait, » fidèle à l’ordre reçu, à la consigne donnée, au devoir accepté. Il « tenait, » jusqu’aux dernières cartouches, prenant lui-même un fusil pour faire le coup de feu. Les derniers survivans de ce combat ramassaient les cartouches des morts et des blessés. Cela dura toute la matinée, jusqu’aux approches de midi, malgré le feu terrible d’une mitrailleuse allemande qui, par le soupirail d’une maison voisine, tirait presque à bout portant sur cette troupe héroïque. À ce moment (il était environ onze heures et demie), le sous-lieutenant, debout, sous un arbre, regardait au loin, avec sa jumelle, lorsque soudain ses hommes le virent s’affaisser, atteint aux deux jambes par des balles de mitrailleuse. Le drap de ses bandes molletières était arraché. Son sang coulait à flots. Deux chasseurs le transportèrent un peu en arrière, afin que la maison du garde-barrière pût lui servir d’abri. Comme on le déposait devant la porte, il insista pour qu’on le laissât en cet endroit.

— Ne vous occupez pas de moi, dit-il. Que les blessés se cachent, s’ils le peuvent, dans la maison.

Et il répéta la consigne suprême :

— Quant aux autres, ils doivent tenir jusqu’au dernier.

Le caporal Minazzoli se pencha vers le jeune officier pour lui faire un pansement. Mais il tomba lui-même, blessé. Une grêle de balles criblait le terrain. La situation devenait intenable pour ces braves gens, qui, en perdant leur chef, avaient, en quelque sorte, perdu l’âme de leur héroïque résistance. Pourtant, deux ou trois chasseurs résistaient encore dans la tranchée. Les autres, presque tous blessés, se réfugièrent dans la maison du