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étrange, et voit soudain sortir d’une touffe de lauriers-roses, dans l’ombre, un homme, vêtu d’habits civils. Est-ce un espion ? Ses réponses à un interrogatoire immédiat sont inintelligibles. Il semble ignorer le français. On le saisit, on lui lie les mains avec la cravate d’un chasseur. Il est plus mort que vif.

— Ne le maltraitez pas, dit le sous-lieutenant au caporal. Soyez indulgent… S’il ne dit pas la vérité, il n’y coupera pas. Et surtout, ne le laissez pas échapper.

Vérification faite, c’était un pauvre Savoyard, ne connaissant guère que le patois de son village, et qui, fait prisonnier la veille par les Allemands, s’était évadé de leur corps de garde, et s’était réfugié dans une maison abandonnée où il avait trouvé des habits civils qu’il avait aussitôt revêtus. Ainsi accoutré, il avait passé la nuit sous un lit, sans prendre de nourriture. Ayant entendu le refrain de son bataillon, sonné par les clairons, au moment de l’attaque, il était sorti de sa cachette, et s’efforçait de regagner les lignes françaises…

Brave garçon ! avec quel plaisir on le détache, on le félicite, on le fête ! Il pleure de joie, se ressaisit, retrouve l’usage de la parole humaine et de la langue française. Finalement, on l’envoie se reposer et dormir, dans une auberge voisine, avec le caporal-fourrier qui l’a découvert dans son bosquet de lauriers-roses, et duquel désormais il ne veut plus se séparer.

Quand l’aube se leva, dans un de ces brouillards d’été qui planent quelquefois sur le paysage matinal des Vosges, une quinzaine de chasseurs et un officier étaient postés au passage à niveau devant la maison du garde-barrière, et se proposaient, malgré leur petit nombre, d’imposer un cran d’arrêt à l’avance des Allemands déjà prêts à déborder Saint-Dié. C’est par cette poignée d’hommes parmi lesquels le petit Savoyard, retrouvé la veille, fit le coup de feu avec une admirable crânerie, que fut défendu le passage à niveau des Tiges, — lieu désormais célèbre, où fut égalée la bravoure d’un Bayard, défendant presque seul le pont du Garigliano.

Le commandant d’infanterie qu’on avait vu la veille donner ou transmettre des ordres, et qui n’était autre que le chef de bataillon Gay, ancien officier du 13e alpins, passé au 99e d’infanterie, avait résumé en ces termes énergiques le suprême effort à faire en cet endroit :

— Vous allez vous déployer en tirailleurs dans ce pré. Vous