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dont ils enfoncent à coups de crosse les portes et les fenêtres.

Témoin de ce haut fait d’armes, accompli par une poignée d’hommes animés de la volonté de résister jusqu’au bout à la supériorité du nombre, un commandant, qui se trouve là, s’écrie :

— La mitrailleuse du 51e sera citée !…

Ce malheureux officier ne peut en dire davantage, ni exprimer toute son admiration pour son jeune camarade. À ce moment, une balle allemande le frappe et il tombe[1]

Quelques instans plus tard, sous les arcades de l’hôtel de ville et aussi dans le faubourg d’Alsace, rue de Périchamp et à l’entrée de la rue qui monte à Foucharupt, d’autres barricades arrêtent, pendant quelques instans encore, la marche des envahisseurs. C’est une résistance opiniâtre, acharnée, où le sol est disputé pied à pied, pierre par pierre, tandis que les balles sifflent de tous côtés, et qu’au crépitement de la fusillade se mêlent les détonations sourdes des bombes de gros calibre, éclatant au milieu des ruines accumulées par l’incendie. Les infortunés habitans de Saint-Dié craignent de voir leurs maisons, leurs magasins s’écrouler dans cette fournaise. Ils hésitent à rester chez eux. Et cependant s’ils sortent de leurs caves pour échapper au feu et à la fumée, ils risquent de subir le sort du comptable de la bonneterie Blech et Cie[2], qui fut saisi par les Allemands, ainsi que les sieurs Chotel, Léon Georges, Henri Louzy, et forcé de marcher de front, avec ses compagnons d’infortune, devant une colonne d’assaut, contre une barricade. Au bout de quelques pas, Chotel tomba sur les genoux et sur les mains. Un flot de sang s’écoulait de ses vêtemens. Se retournant vers les Allemands, il s’écria d’une voix forte :

— Assassins ! Lâches !

Ce furent les dernières paroles de ce malheureux homme. Poussant un gros soupir, il s’étendit, mort.

Littéralement enragés par la résistance d’une ville qu’ils avaient cru pouvoir saisir d’un coup de main, les assassins et les lâches qu’avait flétris ce dernier mot d’un mourant continuaient à pousser devant eux, en les piquant à coups de baïonnette, en les frappant à coups de crosse, un troupeau de civils,

  1. Récit d’un mitrailleur du 51e, rapporté par le chasseur Décurninge.
  2. M. Georges Visser, père de cinq fils sous les drapeaux.