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Je n’ai pu, depuis le 1er août, vous écrire que quelques lignes hâtives. Je pensais qu’à la tête d’un détachement tel que celui qui m’a été confié, ma responsabilité était trop grande pour que je pusse me désintéresser d’un seul détail de la mobilisation. J’ai donc passé plusieurs journées à m’assurer les meilleurs mulets de la région d’Annecy, en accompagnant la commission de réquisition. En même temps, je surveillais minutieusement l’habillement de mes hommes, afin qu’il ne leur manquât ni un bouton ni un dé à coudre ; j’inspectais mes pièces, je réglais mon télémètre, je me procurais, chez l’armurier, le plus grand nombre possible de pièces de rechange, je faisais ferrer mes mulets à neuf, ajuster leurs bâts, vérifier leur harnachement, je me procurais des mousquetons, des revolvers, des munitions, des percuteurs de mitrailleuses, des épaulières, des fioles d’huile, de pétrole, de valvoline, des brosses, des étrilles, des baguettes, des éponges, des bâches, des musettes de pansage, des sacs de chiffons, des cordes à fourrage… Pardon de cette énumération que je pourrais prolonger encore.

J’ai eu peu de temps pour dormir, mais je puis me rendre cette justice de n’avoir négligé aucun détail pour sauvegarder les 35 vies dont j’aurai à rendre compte. Mes hommes le savent. Or à la guerre la confiance est tout. Je n’ai pour ainsi dire pas eu à faire un pas ou un geste qui ne fût prévu, heure par heure dans mon pli de mobilisation ; c’est le triomphe de l’organisation et de la méthode.


Et le jeune officier exprimait avec une émotion généreuse les sentimens qu’il éprouva, en accompagnant à la gare d’Annecy ses camarades et ses chefs du 11e bataillon, designés pour un des premiers départs vers la frontière :


… Le moment tant désiré approche. Nous ne pouvons plus retenir nos hommes. Il y a deux jours, le 11e est parti pour la frontière de l’Est au milieu d’un indescriptible enthousiasme. Quand sera-ce notre tour ? Dans tout le 51e, il n’y a pas un homme qui n’ait fait d’avance le sacrifice de sa vie.


. Ce « tour » impatiemment attendu était venu enfin. Le mardi 25 août 1914, à trois heures trente du matin, au lendemain des combats indécis de Rozelieures et de Champenoux, au moment même où le 52e et le 46e bataillon de chasseurs alpins s’apprêtaient au combat de Clézentaine, le 51e débarquait avec armes et bagages, en gare de Saint-Dié.

En sortant de la gare de Saint-Dié, on entre en ville par une avenue large et droite, qui se prête aux beaux défilés de troupes et où, très souvent, notamment à l’occasion du 14 juillet, les habitans de cette vieille cité lorraine ont applaudi l’allure crâne et décidée de leurs chasseurs à pied. Ce n’est