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De débitrice, elle est passée créancière et ses exportations qui, au 30 juin 1916, ont dépassé de 16 milliards et demi ses achats au dehors, ne nous donnent qu’une idée très incomplète de l’accroissement subit et prodigieux de sa richesse nationale.

Les pessimistes, — ils ne manquent pas aux États-Unis, — observent « qu’il y a chez eux une sorte d’inflation ; qu’à l’instant où la paix sera en vue, tout ce flot d’ordres de matériel de guerre cessera soudain ; » et il est vrai que les explosifs, qui figurent pour 2 milliards 400 millions de francs dans les envois américains de 1916, disparaîtront, que le fer et l’acier qui représentent plus de 3 milliards de francs ne seront plus payés au même prix ; que nous fabriquerons à nouveau notre sucre et demanderons à la Russie partie des 800 millions de pétrole et des 1 500 millions de blé, que nous avons tirés exclusivement cette année des États-Unis. « L’Europe alors commencera un long et pénible travail de réajustement ; les pertes de la guerre auront grandement réduit son pouvoir d’achat ; le besoin forcera ses producteurs à lutter plus durement que jamais pour vendre à bas prix, en basant leurs offres sur des salaires plus bas. L’Amérique, attaquée sur son propre marché, aura peine à se défendre. »

La majorité des Américains ne croient pas à ces sombres pronostics ; ils admettent bien que l’acier, tantôt prince et tantôt mendiant selon le mot de Carnegie, sera offert à des conditions tout autres pour la construction que pour la destruction, pour la paix que pour la guerre ; mais ils ne croient pas que des nations, affaiblies par le manque de capitaux, de matières et de main-d’œuvre, pliant sous le poids de lourds impôts, puissent rivaliser avec une Amérique alerte et bien entraînée. Ils s’entraînent donc et se préparent, de l’autre côté de l’Atlantique, afin de conserver et d’accroître leur avance. Ils s’attendent à trouver en face d’eux une nouvelle Europe, sortie de la guerre plus particulariste, plus jalouse que l’ancienne de son marché national.

Cela ne les a pas empêchés et cela même peut-être les a-t-il décidés à créer sans bruit, sous le nom d’American International Corporation, le plus formidable organisme financier et industriel que l’on ait jamais vu dans l’un ou l’autre hémisphère. C’est proprement le trust des trusts, ce sont les États-Unis en marche à la conquête pacifique de l’univers, ce par quoi ils