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printemps de 1291, le Soudan Kilaououn eut rejeté à la mer les restes sanglans de la société franque, il sembla que l’histoire des Francs de Syrie était close.


UNE POPULARITÉ SÉCULAIRE

Elle ne l’était pas.

Je ne veux point parler ici de ce post-scriptum à cette histoire qu’écrivirent jusqu’en 1489 dix-huit souverains francs de Chypre, régnant appuyés sur les Assises, bâtissant de Nicosie à Famagouste ces monumens que nous a jadis révélés M. Enlart, faisant fleurir l’art et la langue de France sur cette côte d’Asie, au point qu’au début du XVIe siècle, on y plaidait encore en langue d’oil. Et pas plus je ne compte aujourd’hui évoquer cette colonie militaire de Rhodes qui, grâce aux Hospitaliers, resta jusqu’en 1522 un autre témoin de notre domination dans les parages d’Asie.

A l’époque où Rhodes, à son tour, succombait sous les coups du sultan Soliman et où Etienne de Lusignan protestait fièrement contre la dépossession de sa famille, chassée de Chypre, l’infidèle, partout vainqueur, s’inclinait devant d’autres survivances, — celles-là d’ordre moral. En 1535, Soliman concluait avec François Ier les Capitulations, qui assuraient à la nation française, avec d’autres avantages considérables dans tout le Levant, le protectorat des Syriens chrétiens et la garde des Lieux Saints. Que la diplomatie du souple Valois ait été pour beaucoup en ce concordat, nul ne le conteste. Mais les titres qu’étalait le roi de France, il allait les chercher ailleurs que dans ses archives d’Etat. Le Franc était resté prestigieux et même populaire du Taurus à la Mer-Rouge. Son nom, qui restait synonyme de chrétien aux yeux des Infidèles, était resté, à ceux des Syriens, synonyme de défenseur du droit.

Tel est généralement ce qui survit à notre domination. « Quelles terres n’avons-nous pas conquises et perdues ! » gémissait l’historien Buchon, qui venait d’explorer les anciennes principautés franques de Grèce. Nous ne les perdons jamais complètement. Des rives du Saint-Laurent à celles du Nil, ce que nous avons possédé nous reste acquis, tout au moins par le cœur. Une sorte d’amitié survit à nos désastres, — des siècles parfois. Cela tient à ce que, de toute