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disposaient fussent instables. En outre, leurs moyens militaires étaient faibles. Le souci de laisser à la nation syrienne la liberté les empêcha de former, en dehors de l’armée féodale, une armée. Les Turcopoles n’étaient que des mercenaires et les rois, dépourvus de domaine, étaient pauvres. Il fallait donc, à chaque assaut de l’Islam, faire appel à l’Europe chrétienne. Mais Français, Anglais, Allemands ou Italiens, les Croisés qui arrivaient, arrivaient tard. Le mal était fait et difficilement réparable. Par ailleurs, ces croisés étaient conduits par de hauts seigneurs : trois rois de France, deux Césars allemands, un roi d’Angleterre parurent en Syrie : le roi de Jérusalem trouvait en eux des alliés incommodes ; « Dieu me garde de mes amis ! » était-il sans doute tenté de dire ; il ne pouvait, malgré l’autorité que lui donnait sa connaissance des lieux, inspirer ni même influencer leurs projets ; aucune unité d’action n’était possible, — donc aucune action utile.

Et précisément parce qu’ils ne surent point se faire un trésor avec un domaine et, avec un trésor, une armée, ils ne purent jamais compléter — ce qui était indispensable, — leur royaume : Alep et Damas leur échappèrent. Qui veut vraiment profiter de la Syrie doit y joindre une partie de la Mésopotamie. Mais avant d’aller à Mossoul, il eût fallu posséder tout au moins Damas et Alep.

Cependant, ce n’est point par l’Est, c’est par le Sud que se produisirent les dernières invasions. C’est ce qui me fait dire qu’en dernière analyse, c’est hors du royaume, de sa constitution politique, sociale et même géographique, qu’il faut chercher les vraies causes de sa chute. Le royaume, isolé entre trois masses islamiques, était destiné à périr le jour où, refoulé une heure, l’Islam aurait retrouvé un chef. Il en retrouva un dans Saladin, grand homme de guerre et d’Etat, et, conduit par cet homme, l’Islam emporta dans un tourbillon le régime franc. La Syrie franque n’eût peut-être pu résister que si, au lieu d’être un royaume indépendant, elle eût été une vraie colonie, dépendant d’un grand roi d’Occident qui, intéressé à la garder, l’eût nourrie de soldats, gouvernée avec suite ou simplement couverte de son prestige. Elle n’était, par rapport au reste de la Chrétienté, qu’une avant-garde très hasardée, — et d’une armée qui mettait, à chaque alerte, deux ou trois ans à se mobiliser.

Le régime franc sombra dans l’aventure. Lorsque, au