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l’insubordination des grands vassaux se trouvait favorisée par la constitution que les féodaux avaient instaurée en 1099, — encore qu’elle eût été bien amendée par l’Assise du roi Amaury. Mais divisions entre princes et querelles de vassaux à suzerains ne sont pas le fait de ce seul royaume : l’histoire de France, pendant tout le Moyen Age, est faite de cent événemens tout pareils, et la France n’a pas succombé. Elle n’a pas succombé à cause de la qualité de ses rois et de certains de ses hommes d’État.

S’il faut en effet chercher à la chute du royaume franc de Syrie des causes autres que d’irrésistibles invasions, c’est, plutôt que dans la constitution même, dans la qualité de la dynastie qu’il faudrait les chercher. Jérusalem ne connut sur le trône de Sion que des héros ; mais, sauf Amaury, il n’apparaît point qu’ils aient été des politiques supérieurs, — tels que, pour notre fortune, l’ont été la plupart des fils de Capet. Ils ne surent point notamment concevoir et appliquer une politique dynastique, — la seule capable de fonder un empire. Les Francs (la question ne s’étant point posée pour les Capétiens, pendant trois siècles et demi) n’avaient point alors découvert la loi salique : quatre femmes régnèrent souverainement à Jérusalem ; elles apportèrent la couronne à des princes à qui l’amour d’une femme ne suffisait point à conférer le prestige solide qui entoure le Roi ne dans la pourpre. Le trône changea quatre fois de maison en un siècle et demi (Lorraine, Flandre, Anjou, Lusignan, Brienne, sans parler d’un Monferrat qui fut éphémère et d’un Hohenstaufen qui usurpait). Encore le fait eût-il pu être avantageux, si chaque prince consort eût apporté à la couronne un domaine qui l’enrichît. Mais, loin de pratiquer cette politique du domaine, qui pour les Capétiens fut la politique essentielle, les rois de Jérusalem semblèrent, au contraire, éviter, écarter toutes les occasions qui leur eussent permis de réunir entre les mains propres seigneuries et principautés. Au lieu de centraliser, ils décentralisèrent, ne cherchant point, d’autre part, à devenir riches, seul moyen de devenir puissans. Par-là ils restèrent démunis de l’autorité réelle que donnait seule, au Moyen Age, la possession du sol. Et n’étant point, par ailleurs, maîtres absolus de cet État sans cesse menacé, ils ne pouvaient faire tête à l’ennemi que par des appels à l’union, et l’union durable n’a jamais été de ce monde, — même parmi les Francs.

Il est donc peu contestable que les forces dont ils