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devenu foi et, après Amaury, roi souverain, ce n’est point en brisant le régime féodal, mais en l’élargissant pour s’y faire plus large place. Et quant à la coutume, elle est restée celle de France, je veux dire cette organisation des classes qui confère exactement à chacune les droits en échange des devoirs. A l’épreuve, foi, loi et coutume ont paru assez souples pour s’adapter sans s’altérer. Et les institutions ont eu tel prestige que c’est des Assises que s’inspirent les États chrétiens qui, de Chypre à Athènes, se fondent en Orient.

La foi des Francs, qui en Occident semblait exclusive et susceptible d’être oppressive, s’est simplement tempérée de tolérance. Ces ennemis de la foi qu’on était venu combattre, on les a combattus sur les champs de bataille, mais on ne les opprime point s’ils vivent sous la loi, — sinon dans la communion du vainqueur. On dirait que cette terre où fut prêché l’Evangile a dicté aux Francs la charité. Les synagogues, — ainsi que les temples grecs, — restent ouverts et ouvertes les écoles où s’enseigne le Coran. Le sujet musulman est engagé à se faire baptiser, jamais contraint ) De Sion ne part, au nom du Christ, aucun édit de persécution. Et cependant leur dévotion reste la même. Ces « successeurs de Salomon » ont été plus fidèles à leur foi que le sage roi lui-même qui, pour plaire à la reine de Saba, a élevé des autels aux faux dieux sur le « mont du scandale : » ils ont eu leurs reines de Saba, mais n’ont point eu les autels du « scandale. »

S’ils se sont par ailleurs adaptés aux mœurs, il les en faut louer. Car ils n’ont point été seulement ici guidés par la politique ou séduits par la volupté. Chez certains, il y a eu éveil de l’esprit[1], sans que le cœur en paraisse amolli. Les Ibelin, les Giblet, les Montréal, qui cultivent maintenant l’art, le droit, la science, montrent, un et deux siècles après la conquête, contre Saladin en 1187 ou dans le terrible assaut subi à Acre en 1291 la même valeur guerrière. En toutes circonstances, ces gens que le luxe eût pu amollir se confirment des lions. Chez d’autres, — chez presque tous, — l’adaptation est en grande

  1. La noblesse franque de Syrie produisit notamment tout un groupe de jurisconsultes : Jean d’Ibelin, Raymond de Couches, Gérard de Montréal, Arnould de Giblet. Le goût des lettres et des sciences s’était d’autre part répandu. Boheddin dit que Renaud de Sagette était un des hommes les plus instruits dans les lettres orientales. Il entretenait chez lui un docteur arabe chargé de lui lire et commenter les œuvres musulmanes.