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Cette vision contient déjà l’idée fondamentale que Catherine devait développer d’une manière plus large et plus profonde dans les années suivantes. Ainsi qu’elle le pressent, l’homme est placé entre deux puissances rivales qui, l’une et l’autre, sollicitent son amour. L’une de ces puissances, c’est la Vérité, la Vie, la Paix, la Joie et la Béatitude ; l’autre, c’est le Monde, le Mirage satanique, toujours trompeur et décevant du démon.

Catherine était âgée d’environ seize ans lorsqu’elle devint Mantellata, et sa vie solitaire se prolongea jusqu’à ce qu’elle atteignît sa dix-neuvième année ; à cet âge, une Italienne est déjà une femme faite et il était impossible que Catherine ne s’en ressentit pas. Un nouveau et rude combat, un suprême et décisif effort sur elle-même lui restait à accomplir. Déjà elle avait triomphé de son cœur ; il lui fallait encore triompher de ses sens.

Des images familières se représentaient à son esprit : le foyer, le ménage, les enfans… Catherine, en arpentant sa cellule, semblait découvrir combien elle était sombre, étroite et solitaire… A quelques pas seulement, au pied de la colline, se trouvait Fontebranda, où des femmes réunies devant la fontaine se reposaient un moment, tandis que leurs cruches s’emplissaient, en causant de leurs achats, des cours du marché, du repas du soir et des culottes de leurs petits garçons… Et au dehors des portes s’étendait la vallée de Vallepiatta, pleine de chansons d’amour, telle qu’on la voit encore aujourd’hui par les tièdes soirées d’été, à l’heure où les mouches de feu dansent dans les sombres taillis et au-dessus des champs de maïs enténébrés ; à l’heure où les petites grenouilles vertes lancent du fond des prairies leur strident hymne nuptial ; à l’heure où les mères se tiennent sur le seuil des maisons, tandis que les gros marmots s’asseyent dans la chaude poussière blanche de la route… et que les jeunes filles, bras dessus bras dessous, descendent dans la vallée où elles rencontrent des jeunes gens qui chantent d’une voix forte et vibrante ; elles leur répondent alors, et l’un et l’autre chœur se réunissent allègrement pour lancer un triomphant Amore, amore !

Des visions comme celles-ci ont sans doute hanté la jeune Italienne dans la cellule sombre et déserte qui donnait sur une petite ruelle puante, derrière la maison de Giacomo Benincasa. Mais Catherine n’était aucunement sentimentale ; la volonté