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présentait un riche vêtement. Jamais elle n’avait rien vu de plus ravissant : c’était une robe de soie chatoyante, brodée d’or et chargée de perles et de pierres précieuses…

Comme ensorcelée, Catherine jeta un regard sur la robe éblouissante, et le beau jeune homme qui prenait son silence pour un consentement se préparait déjà à l’en revêtir.

Alors Catherine sembla s’éveiller d’un rêve ; elle comprit clairement ce qu’elle était sur le point de faire et d’un geste rapide repoussa le séducteur et son mirage… La vision extérieure disparut, mais la tentation intérieure persista. C’était comme si, jusqu’à ce jour, elle eût vécu sans avoir le sentiment des réalités de la vie. Elle avait suivi ses inclinations, uniquement préoccupée d’atteindre son but ; quel bien lui en revenait-il au moment où elle y parvenait ? Lorsqu’elle s’était fiancée à Jésus dans son enfance, savait-elle déjà ce qu’elle préférait : n’avait-elle pas écouté uniquement le naïf désir de faire ce qu’enseignaient les prêtres, ce qui était agréable à Dieu et ce que tant de pieuses femmes avaient fait avant elle ? Elle avait maintenant l’impression que plusieurs voiles se déchiraient successivement, — elle voyait tels qu’ils sont la vie et le bonheur des hommes, la vie et le bonheur des femmes et se rendait compte qu’elle allait y renoncer pour toujours… Jamais, au pied de l’autel, elle ne mettrait sa main dans la main d’un époux, jamais elle ne quitterait l’église conduite par lui en adressant à ses parens un grave et joyeux salut… Les torches nuptiales ne s’allumeraient jamais pour elle et jamais, lorsqu’elle serait devenue une vieille aux cheveux blancs, elle ne montrerait à ses petits-enfans émerveillés son ancien voile de noces aux fleurs brochées d’argent…

Faisant appel à toute son énergie, Catherine s’arracha brusquement à la rêverie qui assaillait son cœur de femme : « O toi mon bien-aimé, mon unique époux, s’écria-t-elle, en tombant à genoux devant le crucifix, tu sais bien que je n’ai jamais désiré que toi seul ; viens aujourd’hui à mon secours, ô mon Sauveur, fortifie-moi et soutiens-moi en cette heure difficile. »

Le Crucifié ne parut pas s’attendrir ; il resta silencieux, les yeux sans regard, mais on entendit comme le froufrou d’une robe de femme qui bruissait contre les murs froids comme de l’or et de la soie, et devant Catherine apparut Celle qui est bénie