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Qui ne connaît cet instant où, un grand dessein venant de germer dans l’esprit, on se sent poussé à agir, coûte que coûte ? Tous les doutes, toutes les hésitations se taisent ; il semble que l’on ne pourra jamais assez promptement réaliser le plan nouveau ! C’est sous l’empire d’une résolution semblable que, dans la matinée qui suivit son rêve, Catherine réunit les membres de sa famille et leur déclara « qu’il leur serait plus facile de fondre une pierre que de l’ébranler dans son dessein. » « Je vous conseille donc, » dit-elle, « d’interrompre vos négociations au sujet de mon mariage, car en cela il m’est impossible de faire votre volonté, puisque l’on doit obéissance à Dieu plutôt qu’aux hommes. S’il vous plaît de me garder ici comme votre servante, je resterai de bon cœur à votre service… et si au contraire vous voulez me chasser du foyer, sachez que, malgré cela, je ne renoncerai jamais à mon projet : j’ai un époux si riche et si puissant qu’il ne me laissera jamais manquer du nécessaire et pourvoira à tous mes besoins ! » Un siècle et demi auparavant, saint François avait adressé de telles paroles à sa famille, ce qui avait amené une rupture définitive entre lui et les siens. Mais Giacomo Benincasa n’était pas un Pietro di Bernardone.et l’esprit qui animait le fils du marchand d’Assise s’était en cinq générations répandu dans le monde entier. « L’ange qui portait le sceau du Dieu vivant » (c’est ainsi que saint Bonaventure désignait François) avait confirmé des milliers et des milliers d’hommes et Giacomo était du nombre.

Le silence régna dans la pièce lorsque Catherine se tut. Puis, faisant appel à tout son courage, Giacomo dit du plus profond de son cœur : « Dieu nous préserve, ma chère fille, de nous opposer de quelque façon que ce soit à sa volonté ; depuis longtemps nous avions compris que ce n’était point chez toi caprice d’enfant, nous voyons maintenant que c’est le Seigneur qui te guide. Accomplis donc librement ton vœu et vis ainsi que l’Esprit-Saint t’y engage. Nous te supplions seulement de prier sans cesse pour nous, afin que nous devenions dignes des promesses de ton Epoux. »

Tourné vers Lapa et ses fils, Giacomo ajouta : « Que personne n’ose tourmenter ma fille bien-aimée, qu’elle serve son Époux en paix et en liberté, afin d’intercéder continuellement pour nous. Pourrions-nous jamais trouver pour elle un Époux de plus haut lignage ? »