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manœuvre était qu’ayant rompu avec l’Allemagne, les États-Unis fussent pourtant encore en relations avec l’Autriche-Hongrie. Ne se prévalait-on pas de ce que M. Grew, premier secrétaire de l’ambassade des États-Unis à Berlin, venait d’être nommé conseiller d’ambassade à Vienne, et de ce que le comte Tarnowski, récemment envoyé comme ambassadeur d’Autriche aux États-Unis, était toujours à Washington, où d’ailleurs il n’a pas remis ses lettres de créance pour n’avoir pas à remettre aussi la réponse de son gouvernement à la notification de la rupture avec l’Allemagne ? De même le comte Sczecsen était resté à Paris jusqu’au 9 août 1914. Le malheur est que M. Wilson a maintenant posé carrément la question. Le comte Tarnowski ne saurait l’esquiver. Il va falloir ou qu’il parle, ou qu’il parte. Le comte Bernstorff et deux cents personnes de sa suite sont déjà sur la mer, où l’Empereur allemand annonce, les sourcils froncés, que son « vieux Dieu » a mis ses colères.

Il n’y a pas encore fait le vide. « Du 1er au 18 février, disait hier à la Chambre des Communes le premier lord de l’Amirauté, sir Edward Carson, 6 076 navires sont entrés dans les ports du Royaume-Uni et 5 873 en sont partis. L’inefficacité du blocus allemand est d’autant plus évidente, si on ajoute que, à n’importe quel moment, le nombre des navires qui se sont trouvés dans la zone dangereuse n’a été inférieur à 3 000. » Parmi ces milliers de navires, il en est cinq dont on ne saurait détacher les yeux : trois brésiliens et deux américains, l’Orléans et le Rochester. Ils sont partis, arriveront-ils ? De gros paris sont engagés, Mais ce sur quoi l’on parie, ce n’est pas seulement sur le sort de ces bateaux; c’est sur la force de l’Allemagne, sur ce qu’il lui reste de force et ce qu’il lui est permis de volonté. Les cinq navires portent beaucoup plus que la barque qui porta César et sa fortune. En un certain sens, et dans une certaine mesure, on peut dire qu’ils portent la fortune du monde. Et en un certain sens aussi, qui n’est pas celui que Guillaume II avait prévu, on peut dire que « l’avenir de l’Allemagne est sur l’eau. »


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.