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le lendemain de la guerre. Tout un programme s’élabore déjà parmi les chefs du féminisme allemand. Nous y reviendrons, après avoir prêté l’oreille un moment aux vociférations de l’étonnante mégère qui a nom Leonore Niessen-Deiters.


Car celle-ci ne raisonne pas : elle hurle. Elle ne croit certainement pas, avec Schiller, que les femmes soient destinées à « broder de célestes roses la trame de la vie terrestre. » Et ce n’est pas non plus de l’Antigone antique qu’elle se réclame : il lui plaît, quant à elle, de partager non l’amour, mais la haine. Dès le 6 août, elle invoque le Ciel en ces termes : « Seigneur, Seigneur ! Que ne puis-je être un homme en ce temps-ci ! Etre un homme, avec un fusil ! Etre un homme et sentir l’épée dans ma main ! Etre un homme, sur un cheval ! Etre un homme et pouvoir partir, tomber s’il le faut, mais ne pas rester en arrière, dans l’attente ! Attendre et ne rien pouvoir faire[1] ! » Qu’on ne lui parle pas du rôle émouvant des femmes en temps de guerre : épouses et mères, infirmières, consolatrices, inspiratrices, auxiliaires. À cette virago d’humeur batailleuse un seul geste donnerait satisfaction : « Etre un homme et partir aussi ! » Car cette guerre est sainte : sainte par son objet, qui est de défendre la terre et la culture allemandes, sainte par son effet qui est d’avoir rendu au peuple allemand sa « simplicité, » sa « conscience, » sa façon patiente et sûre d’aller au fond des choses (Grümdlichkeit)[2].

L’Allemagne a été encerclée, puis attaquée, par des ennemis pleins de cynisme et d’astuce. Une calomnie infâme rejette en vain sur cette nation innocente la responsabilité initiale de la guerre. « Comment croire qu’un homme travaille quarante ans à édifier sa maison pour y mettre criminellement le feu, de ses propres mains, la quarante-et-unième année ? Comment croire qu’un peuple se soit acharné, pendant huit lustres, à développer sa culture pour démolir ensuite volontairement son propre ouvrage, anéantir son commerce, paralyser chez lui les sciences et les arts, envoyer toute sa jeunesse à la mort ? Croyez-vous vraiment qu’un peuple hautement cultivé, dont l’instruction scolaire est

  1. Kriegsbriefe einer Frau, p. 7 et p. 9 (Deutsche Kriegsschriften, VIII, Bonn, 1915.
  2. Ibid., p. 21.