Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les vandalismes. J’ai grand’peur que ce ne soit (appliquée à faux, sans doute) la plus authentique tradition du classicisme allemand, celle qui vient de Luther en passant par Kant et les Weimariens du XVIIIe siècle. Cet excès de protestantisme et d’idéalisme transcendantal qui fait si bon marché des « images taillées, » et qui n’accorde de prix qu’à une valeur intérieure, sui generis, irréductible à toute mesure connue, je ne m’étonne pas, mais je m’afflige de le voir aboutir chez Lily Braun au panégyrique des incendiaires de Louvain. On se rappelle le sinistre farceur qui prétendait nous consoler des ruines de Reims par cette affirmation monstrueuse : « On a le droit de détruire quand on a la force de créer. Nous rebâtirons Reims plus belle sur des plans nouveaux, des plans allemands[1]. » Sous une forme grotesque, c’est l’expression même de cette profonde croyance allemande que la volonté, le sentiment, la vie priment toute espèce de pensée et d’art ; c’est cette même glorification du héros naïf, de la force ingénue, du « pur et fol, » cet hymne à la blonde barbarie destructrice et créatrice, qui vibre à travers toute la littérature allemande, de Schiller lui-même à Richard Wagner, en passant par le romantisme.

Ce n’est pas prouver la vitalité de la culture allemande que de maudire la guerre et de prêcher la paix à tout prix. Lily Braun désapprouve les Allemandes zélées des Congrès internationaux qui ont bombardé de messages pacifistes et larmoyans leurs « sœurs » de l’étranger. Avec raison, elle voit dans cette propagande un manque de tact, mais elle redoute aussi que des mouvemens de cette espèce ne tendent à creuser un abime entre les femmes d’Allemagne et les guerriers qui leur reviendront du combat « graves, affermis, sévères et durs, remplis des choses inouïes qu’ils auront vues et souffertes, aussi exempts de sentimentalité que d’exaltation[2]. » Elle continue, pour sa part, à espérer de la guerre un grand progrès moral : la guerre est l’épreuve nécessaire, le balai de fer qui sépare le grain de la balle, la charrue qui déchire le sol et le féconde ; aux grandes guerres ont toujours succédé les grands époques de civilisation ; l’Allemagne, qui en est aux guerres médiques, peut espérer voir luire ensuite un siècle de Périclès. Lily Braun croit

  1. Article de Friedrich Gundolf : Tut und Wort im Krieg, dans la Frankfurter Zeitung du 11 octobre 1914.
  2. Ibid., p. 41.