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voyait souvent voltiger du haut en bas des escaliers. Tous les voisins l’aimaient ; elle était si gracieuse et se prêtait si volontiers au désir des amis qui souhaitaient sa présence pour une journée qu’on l’appelait à cause de son charme Euphrosyne qui est le surnom de la Charité. Raymond de Capoue, qui ne suppose pas une telle culture classique chez les habitans de Fontebranda, dit à ce sujet : « Je suis tenté de croire que c’est un surnom qu’elle s’est donné elle-même, comme le font souvent les petits enfans. » Il y a du reste une sainte Euphrosyne, et plus tard Catherine considéra comme un présage d’avoir porté ce nom. En effet, on raconte que sainte Euphrosyne voulant entrer dans un couvent de moines, au lieu de se faire religieuse, se coupa les cheveux et revêtit des habits d’homme ; il est probable que Catherine l’eût bien volontiers imitée en ceci…

Mais pour entrer en religion, soit parmi les hommes, soit parmi les femmes, il faut être d’une grande piété… Dès lors, on trouvait souvent Catherine priant dans des coins isolés de la maison, ou bien on l’entendait monter l’escalier en récitant à chaque marche, de sa petite voix, un « Je vous salue Marie. » Je me la représente ainsi bien facilement, car j’ai eu moi-même une petite fille de six ans qui faisait oraison à sa manière dans un escalier où était suspendu un grand tableau de la Madone. Puis vint le jour où la vision lui apparut au-dessus du toit de l’église San Domenico, « et, à dater de cette heure, Catherine ne fut plus une enfant[1]. »


Dès son origine, le christianisme a été une religion pleine de révélations et de visions. La littérature chrétienne la plus antique, les écrits des apôtres et les évangiles ne permettent aucun doute à ce sujet. « Celui qui garde mes commandemens et les observe, celui-là m’aime et je l’aimerai… et je me manifesterai à lui. » Cette parole de Jésus est la clé de la psychologie des saints et par conséquent de celle de Catherine.

Elle avait « vu le Seigneur, » et la voix qui jadis retentit au bord du lac de Génésareth retentissait maintenant dans son âme, douce et pénétrante comme une très lointaine sonnerie de

  1. Catherine inscrit en tête de son livre le Dialogue, cette parole, qui est le point de départ de toute sa mystique.