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Dancourt fut éclatant parmi le gros public. La foule s’empressait à ses farces. Quelques-unes de ses comédies tinrent la scène une vingtaine de fois, chiffre très rare à cette époque. Les « délicats » goûtaient moins son talent. Racine entendant, au Palais, le sieur Brunet, libraire, qui s’égosillait à crier : « Messieurs, voici le théâtre de M. Dancourt, » se retourna, et d’un ton indigné : « Le théâtre, dis-tu ? dis donc son échafaud ! » Voltaire, dans sa correspondance, n’est guère plus bienveillant. Mais Racine ni Voltaire n’aimaient la concurrence, fût-ce au bas de l’échelle dont ils occupaient le sommet.

Louis XIV, en revanche, témoignait à Dancourt une particulière bienveillance. J’ai dit qu’il l’admettait à lui lire ses ouvrages avant qu’ils parussent sur la scène. Ces lectures avaient lieu dans le cabinet du souverain, et seule Mme de Montespan y assistait avec le Roi. Un jour qu’il y avait grand feu, incommodé par la chaleur, le lecteur perdit connaissance. Pour que l’air vînt le ranimer, Louis XIV en personne fut à la fenêtre et l’ouvrit. Les faiseurs d’anas s’extasient sur une autre anecdote de même genre. Dancourt présentait une requête au Roi qui sortait de la messe ; marchant à reculons et discourant avec ardeur, il arrivait au bord d’un escalier qu’il ne soupçonnait pas. Ce que voyant, Sa Majesté le retint par le bras. « Prenez garde, Dancourt, vous allez tomber ! » cria-t-il. Puis s’adressant aux seigneurs de son entourage : « Il faut convenir, dit-il, que cet homme parle bien. » Ce fut un attendrissement général. Le Grand Dauphin, plus encore que son père, se constituait le protecteur attitré de Dancourt et permettait qu’il lui dédiât ses pièces. Entraînés par l’exemple, les grands personnages de la Cour faisaient fête à l’acteur-auteur et prisaient sa société. Il était convié fréquemment à d’élégans soupers, qu’il animait de ses saillies, de sa verve bouffonne.

Il restait, malgré tout, en marge du vrai monde, de la bonne compagnie ; et le comédien gentilhomme, comme son beau-père La Thorillière, connut bien des déboires et des humiliations. Ses camarades le jalousaient. Les annales des théâtres et les notes de police renferment les récits de nombreux démêlés dont les échos bruyans faisaient retentir les coulisses. Lors d’une querelle avec Baron, les épées sortaient du fourreau ; on dut chercher le commissaire. La soubrette d’une fameuse actrice, la demoiselle Beauval, déposait contre lui une plainte