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Cette fièvre généreuse de sacrifice, cette foi quasi mystique dans la mission et les destinées de la France est, en bien des cas, rehaussée et comme alimentée par la foi religieuse. Ceux qui s’en étonnent, chez nous et chez les neutres, n’ont pas assez réfléchi aux rapports secrets, mais réels, qui existent entre les deux « ordres. » Au fond, tous les idéalismes se tiennent et, peut-être, se confondent. Assurément, il n’est point indispensable, pour être un excellent patriote, un soldat plein d’ardeur, même un héros authentique, d’être un grand croyant ; mais cela n’y nuit pas non plus. Ce n’est pas un simple hasard si, dans certains milieux, avant la guerre, on a vu se développer du même pas le pacifisme, l’antimilitarisme, l’internationalisme, et l’anticléricalisme ; et ce n’est pas un simple hasard non plus si quelques-uns de nos plus grands chefs se trouvent être d’admirables chrétiens. En tout cas, il est clair qu’une religion qui prêche le dévouement et l’ascétisme, qui affirme l’immortalité, qui glorifie le sacrifice, qui sanctifie et divinise la douleur, ne peut que fournir un fondement solide et un substantiel aliment aux plus hautes vertus militaires. De ce viatique spirituel quelques-uns de nos héros, peut-être inconséquens avec eux-mêmes, ont pu se passer, c’est entendu ; mais beaucoup d’autres, et non des moindres, y ont puisé un précieux réconfort, une perpétuelle excitation à se surpasser eux-mêmes. Au contact quotidien des douloureuses réalités de la vie et de la mort, d’autres enfin ont senti se réveiller en eux des croyances dont ils n’avaient pas encore éprouvé la vivante efficacité, qu’ils croyaient mortes, et qui n’étaient qu’assoupies. L’exemple, les conseils, la charitable et discrète influence des nombreux prêtres qui combattent dans nos armées ont, comme il était naturel, contribué dans une large mesure à ces évolutions morales. Telle qu’elle nous apparaît dans les lettres de nos soldats, la France de la guerre se retrouve infiniment plus religieuse, et même chrétienne, que ses ennemis et même bon nombre de ses amis ne l’avaient dépeinte. Encore une fois, l’un des résultats de la terrible crise que nous traversons aura été de ruiner de fâcheuses légendes, et de faire « éclater aux esprits » l’âme profonde de la vraie France, que nous avions eu le tort de trop laisser calomnier par ses adversaires.