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« littérature. » Trop de journalistes ou de chroniqueurs se sont contentés, quand ils ne restaient pas tranquillement assis dans leur cabinet de travail, d’aller visiter, après coup, les champs de bataille et les villages dévastés, et, tout au plus, d’aller entendre, quelques heures, à l’arrière, le bruit de la canonnade, ou de jeter un rapide coup d’œil sur quelques tranchées ; et leur inexpérience se trahissait dans leurs récits. Rien ne vaut, en cela comme en toute chose, le contact direct et personnel de la réalité, l’expérience intime et vécue. Et, je le sais bien, c’est tout un art, — ou un don, — de savoir traduire ses impressions, et ceux qui sentent le plus vivement ne sont pas toujours ceux qui expriment le mieux ce qu’ils ont vu et senti. Peut-être le meilleur historien de cette guerre sera-t-il, s’il y en a un, l’écrivain qui aura fait toute la campagne et qui aura accumulé, pour les utiliser plus tard, impressions et souvenirs. Mais enfin, sans être écrivain de profession, on peut savoir rendre ce que l’on a vu et éprouvé, et il arrive d’ailleurs parfois que les esprits les moins cultivés, que les plumes les moins expertes aient des trouvailles d’expression vivantes, pittoresques, jaillies, pour ainsi dire, des entrailles du réel, et que pourraient leur envier bien des professionnels. On en rencontre souvent dans les lettres de nos soldats : les « choses vues » qu’ils racontent ont, par endroits, une saveur de vérité très saisissante. Qu’on se rappelle l’heureux parti qu’a tiré de témoignages de cet ordre M. Le Goffic dans ses études, si grouillantes de vie, sur Dixmude. Il a donné là un exemple que les historiens de l’avenir suivront sans doute fidèlement.

Les récits de combats abondent dans ces lettres ; et il en est de bien dramatiques, et qui font encore passer en nous le frisson du champ de bataille.


Petite mère, écrit un soldat, ne te fais pas de mauvais sang. Si tu nous voyais quand le canon tonne ! On chante pour en couvrir le bruit terrible. Jamais ma voix de ténor ne m’a aussi bien servi. Au son de la charge, on n’est plus des hommes, on est des fantômes. La moitié tombe avec leurs chevaux tués. On monte sur les autres chevaux, et c’est tout le temps comme ça. La fusillade est terrible, mais on n’y fait pas attention. Le matin, on est frères d’armes ; le soir, on monte sur les cadavres pour se ruer sur l’ennemi.


Et que dites-vous encore de cet épisode d’un violent combat, à la suite duquel « la rivière était rouge comme une culotte de