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traité dont la France fit amèrement reproche au Cabinet qui l’avait négocié, tandis que l’Allemagne traitait Guillaume II de « lâche » pour l’avoir signé.

L’accusation, dira l’histoire, était prématurée ; ce n’est pas à l’heure fugitive où il brava l’opinion germanique, mais à celle où, comme le dit la dépêche du Livre Jaune, il « cessa d’être pacifique, » lorsqu’il prit bravement son parti de mettre le feu à l’Europe par peur des « pommes cuites » de ses sujets, que fut commise l’effroyable lâcheté : les millions d’hommes immolés par l’Empereur allemand pour recouvrer les applaudissemens de la presse, de la tribune et de la rue, dont la privation lui était insupportable. L’opinion allemande est aujourd’hui, dit-on, retournée en faveur du père contre le fils, devenu antipathique.


I

Si l’Allemagne toute seule a pu déchaîner la guerre, passionnément voulue par elle, il n’est plus en son pouvoir d’échapper aux conséquences de son acte. Les ennemis mêmes, dont elle devra subir la loi, ne pourront réparer de longtemps le désastre où elle a entraîné l’Europe. Elle en sera la première victime dans sa prospérité, faite de spéculation et de volonté laborieuse, un, peu artificielle cependant, qu’une longue paix seule pouvait consolider. Mais aussi la face du monde économique en sera tout entière changée.

L’Europe, par droit d’aînesse et d’efforts accumulés, avait sur l’univers, sinon la domination positive, du moins une suprématie incontestée. Elle avait été le professeur, et elle demeurait le fournisseur et le banquier ; or, l’élève s’affranchit plus aisément des leçons que le client ne se passe de marchandises ou le travailleur de capitaux. L’Europe régnait donc par ses usines et par son argent. Cette lutte titanique, dont l’issue n’est pas douteuse, mais dont la fin ne saurait être immédiate, a révélé à l’Europe son âme qu’elle ignorait peut-être : depuis deux ans, par milliers, des héros ont surgi, si supérieurs à la nature humaine, qu’aucune légende antique, aucun roman du Moyen Age n’aurait su les imaginer tels et en tel nombre ; des monstres aussi ont apparu, artisans de barbaries qui, dans le passé même, semblaient improbables.