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distrait, mais pour le dilettante épris de vie arabe. Merveilleusement défendu contre les curiosités profanes, le jardin des Princesses est comme le cœur tragique et silencieux de ce pays étrange et si farouchement clos.


Pour mieux en sentir le charme triste, il faut avoir erré longuement, amoureusement dans tout ce réseau de ruelles ombreuses ou violemment ensoleillées qui l’entourent. Je ne connais pas de promenade plus amusante, plus fertile en spectacles colorés et imprévus. D’abord, le nom seul des rues vous met l’imagination en fête. Quel est l’officier de bureau arabe, le rond-de-cuir désœuvré et romantique, qui, au temps de la conquête, inventa ces noms extraordinaires ? Il mériterait assurément de donner le sien à quelque boulevard de l’Alger moderne.

Grâce à cet anonyme de génie, une méchante plaque indicatrice clouée sur un mur décrépit vous évêque toute l’Afrique de la légende et de l’histoire, avec sa flore et sa faune, avec ses aspects éternels et ses grands paysages, tandis que l’azur du ciel se découpe entre les hauts murs des maisons étagées, qui descendent vers la mer et les mâtures des navires.

Rue de la Mer Rouge, rue des Pyramides, rue de la Girafe, rue du Palmier, rue de la Grenade ! … C’est l’Afrique du « Tour du Monde » et des livres d’images, — oasis, caravanes, chameaux et chameliers, explorateurs et tueurs de lions. Là-bas, rue des Lotophages : un saut brusque en pleine antiquité homérique. Les Syrtes de Libye fument derrière la ligne des sables. Ulysse et ses compagnons débarquent sur l’inhospitalière côte africaine… Rue Rannibal ! On songe à Carthage, on voit Salammbô, qui danse sur sa terrasse, au clair de lune, devant le golfe endormi !… Rue Micipsa, rue Jugurtha, rue Caton, rue Salluste : histoire numide et romaine ! Sophonisbe, réfugiée dans son harem, à la pointe du rocher de Cirta, boit la coupe de poison envoyée par son amant… Le conquérant latin, le sénateur ou le proconsul, se prélasse, à l’heure de la sieste, dans le xyste ou sur le belvédère de sa villa… Rue des Abdérames, rue des Maugrebins, rue Barberousse ! Voici le flot de l’Islam envahisseur, l’Afrique des croisades, des corsaires, des esclaves, et aussi celle des Mille et une Nuits. Enfoncez-vous