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Père, après s’être réellement bien fustigé, leur fait une petite exhortation pour recevoir la bénédiction du Saint-Sacrement, puis il leur chante des prières. Cela fini, il s’en va. Cet homme passe ici pour un saint, marchant pieds nus et ne mangeant que des racines. »

La lettre suivante décrit un jeune « prodige, » qui rappelle en tous points cet extraordinaire Inaudi, le pâtre calculateur, dont s’émerveilla de nos jours le public parisien : « 1er décembre 1740. Le duc de Modène a envoyé ces jours-ci au Pape un jeune paysan de vingt-six ans qui est, à ce qu’on dit, un prodige. Il ne sait ni lire, ni écrire, et connaît si parfaitement le calendrier qu’il n’y a sorte de questions auxquelles il ne réponde, et cela sans hésiter. On lui demande, par exemple : « Je suis ne tel quantième du mois d’avril 1640, quel jour était-ce ? » Il vous répond sur-le-champ : « C’était un vendredi, tel quantième de la lune, telle lettre dominicale. » On lui a fait quantité de questions sur les Pâques, il y a répondu fort juste et a démontré combien de fois l’on s’était trompé. On lui proposa une fois, dans ce genre-là, une question qu’on dit avoir été résolue par Newton ; il prouva que celui-ci s’était trompé grossièrement. Tout le monde reste surpris, et alors notre paysan se met à rire, quand il voit qu’il a résolu quelque grande difficulté. Le Pape a ordonné qu’on l’instruisît et prétend, avec son secours, réformer le calendrier grégorien. La première fois qu’on le mena au Pape, il avait ses habits de gardien de bœufs, et, depuis qu’il était au monde, il n’avait point eu d’autre eau sur le corps que celle de son baptême. Le Pape lui jeta ses bras au col, et peu s’en fallut qu’il ne l’embrassât. »

Le théâtre romain, dont à Paris on faisait alors grand état, paraît n’avoir été pour notre apprenti diplomate qu’une amère déception. « Nous causâmes, écrit-il, du mauvais goût qui règne ici pour les spectacles. Hélas ! que l’on s’en donne une belle idée à Paris ! Il faut vous dire, ma chère sœur, que, outre les deux opéras de musique, il y a six autres théâtres, où l’on représente des comédies, et qui sont remplis tous les soirs, et de la noblesse et du peuple, tandis que les deux grands théâtres restent presque déserts. Or, ces comédies sont un assemblage d’infamies et d’horreurs, qu’on ne souffrirait pas chez nous aux parades de la Foire. Cela est si mauvais, si détestable, que je