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sublime, et tantôt très plat, comme doit être celui de quiconque ne s’élève que par quelques élans de génie, et que la science ne soutient point. » Rameau, plus tard, soutiendra son jugement, disant que certains airs étaient dans le goût italien et de la plus brillante facture, et que d’autres étaient parmi les plus mauvais de la musique française, et que Rousseau, d’ailleurs, interrogé par lui, avait presque avoué le plagiat. La musique, aujourd’hui perdue, ne permet pas de trancher le débat. Jean-Jacques, dans tous les cas, parut fort affecté et pleura même, dit-on, « comme un enfant[1]. ».

Certains des assistans furent, pour les Muses galantes, moins sévères que Rameau ; et, parmi ces derniers, était le duc de Richelieu, alors très puissant à la Cour. Le duc, pour consoler Rousseau, fit jouer son opéra « à grand chœur et en grand orchestre, » chez M. de Bonneval, intendant des Menus. Le succès fut complet, et Richelieu ne tarit pas d’éloges. Rameau avait refusé de venir. Thérèse, en revanche, était présente ; mais elle ne dit pas un mot à l’auteur. « Le lendemain, dit Rousseau, Mme de La Pouplinière me fit un accueil fort dur, affecta de me rabaisser ma pièce et me dit que, quoiqu’un peu de clinquant eût d’abord ébloui M. de Richelieu, il en était bien revenu, et qu’elle ne me conseillait pas de compter sur mon opéra. » Le duc, survenant sur ces entrefaites, tint un moins rude langage, mais conseilla pourtant de faire des changemens à l’ouvrage, si l’on désirait qu’il fût joué à la Cour, ce qui d’ailleurs n’eut jamais lieu.

Le ressentiment de Jean-Jacques s’aviva l’an d’après, à la suite d’un nouveau conflit qu’il raconte dans ses Confessions avec de longs détails, quelque peu embrouillés. Je le résume. En février 1745, en l’honneur des noces du Dauphin, un opéra de Voltaire et de Rameau, la Princesse de Navarre, avait été joué à la Cour. A quelque temps de là, le duc de Richelieu désira le faire remanier pour le donner à l’Opéra, sous le nom des Fêtes de Ramire, et il chargea Rousseau, — Voltaire étant absent et Rameau occupé par un nouvel ouvrage, — de revoir paroles et musique et d’y apporter des changemens. Rousseau se mit à l’œuvre et travailla deux mois, dit-il, à cette besogne ingrate. Lors des premières répétitions, en décembre 1745,

  1. Cucuel, passim.