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et s’écria : — Pourquoi avoir ainsi brusqué les choses ? Vous saviez bien qu’il me fallait six semaines pour mobiliser ; l’archiduc Albert me les demande… L’Italie exige pour marcher avec nous à votre aide que vous retiriez vos troupes de Rome et l’autorisiez à y faire entrer les siennes. Il m’est impossible de marcher avec la menace de l’Italie au Sud, le péril certain au Nord et une lente mobilisation qui me laissera sans défense. — L’émotion de l’Empereur était extrême ; c’est alors que j’ai vu de grosses larmes couler de ses yeux. » La réponse du duc de Gramont est connue : « Ce n’est point alors que nous défendons notre honneur sur le Rhin que nous l’abandonnerons à Rome ! »

La proclamation de Guillaume de Hohenzollern comme Empereur allemand était le coup le plus sensible qui put blesser François-Joseph de Habsbourg. L’érection, en face de son trône, d’un autre trône impérial, groupant autour de lui tous les petits États allemands, auréolé du prestige de la victoire, était la ruine de toutes ses espérances et de toute sa politique en Allemagne. L’injure fut vivement ressentie à Vienne, et il y eut, durant les premiers mois qui suivirent le Traité de Francfort, quelque désarroi dans la politique de François-Joseph ; dans l’Europe, transformée par la victoire prussienne, il cherchait sa voie. L’idée d’une alliance entre les vaincus de Sedan et les vaincus de Sadowa était si naturelle que Bismarck la redoutait par-dessus tout. Il estimait que, dans le cas où l’Assemblée nationale restaurerait en France la monarchie de Henri V, le rapprochement se ferait tout naturellement, sous les auspices du Saint-Siège, entre les deux grandes monarchies catholiques ; c’est pourquoi il travailla de tout son pouvoir à prévenir une conjonction qui lui paraissait dangereuse pour l’hégémonie allemande et à retarder en France l’établissement d’un pouvoir stable et fort. François-Joseph, dans l’incertitude de l’avenir, prenait ses sûretés et s’abstenait de contester à l’Allemagne le fruit de ses victoires. En août 1871, Guillaume et François-Joseph, en villégiature, l’un à Gastein, l’autre à Ischl, échangeaient des visites ; Beust lui-même se laissait attirer par Bismarck à Gastein, où le Hongrois Andrassy, trahissant sa confiance, s’entendait à son insu avec Bismarck et traçait avec lui les premiers linéamens de ce qui deviendra la Triple-Alliance et la politique orientale de l’Autriche.

Le 1er novembre 1871, François-Joseph se séparait de Beust