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romance le dégraderaient ; un chant vague ne l’exprimerait pas assez, puisque le cœur d’une mère est le sanctuaire de la nature ; les chants pieux outrepasseraient la mesure convenable. C’est, je crois, par un heureux mélange de ces trois genres qu’on atteint à la couleur qui est propre à l’amour d’une mère. La nuance du chant de romance indique que la femme fut amante pour être mère ; la nuance du chant vague indique l’impossibilité d’exprimer tous les sentimens qui se réunissent dans l’amour maternel, et la nuance des chants pieux, ou mystiques, annonce la sainteté de cette passion. »

Parmi les musiciens, il en est, et non des moindres, qui, surtout accessibles à la beauté spécifique des sons, ne croient guère à leur pouvoir expressif. L’expression musicale, disait, je crois, Charles Lévêque, a ses athées. Elle eut dans Grétry l’un de ses dévots, et jusqu’à la superstition. Pas une pratique, une observance, fût-ce la plus naïve, dont il ne recommande l’usage et ne garantisse l’effet. Rien selon lui, rien d’humain, n’est étranger à la musique, rien n’est en dehors de ses moyens, ou de ses procédés. « Le soupçon, la tristesse accompagnent les inflexions de l’avare. Voyez le duo des deux avares (dans l’ouvrage qui porte ce nom). Ils s’interrogent tour à tour ; preuve de soupçon. Ils ne se réunissent que pour dire : Prenons, prenons ! Ce duo est en mi bémol ; preuve de tristesse. »

« Qui veut trop prouver… » dirait-on cette fois. On le dirait ailleurs encore. Que pensez-vous de l’ « application » suivante : pour retracer les vertus de l’amitié, « la mélodie la plus suave, l’harmonie la plus pieuse peuvent être employées avec succès. Oui, dans ce cas, les chants de l’hymne le plus saint ne sont point étrangers à l’amitié, car aucun sentiment ne lui est supérieur en pureté, pas même celui de l’amour maternel. » Pour définir, — moralement, — certains sentimens ou personnages moyens : l’orgueilleux, l’ambitieux, le glorieux, Grétry commence par citer Molière. Pour les représenter en musique, il avoue ensuite qu’on « peut, à peu de chose près, les confondre. » Il ajoute cependant : « le glorieux est immoral comme les deux autres, mais plus posé et plus froid : c’est donc ici où les modulations éloignées les unes des autres sont naturelles. » C’est également ici, comme en d’autres cas, trop nombreux, que nous tombons, aux dépens du naturel, dans