Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non semper super prata casta florescit rosa. J’eus à peine chanté quatre mesures, que l’orchestre s’éteignit jusqu’au pianissimo, de peur de ne pas m’entendre. Je jetai en ce moment un regard vers mon père, qui me répondit, par un sourire. Les enfans de chœur qui m’entouraient se reculèrent par respect ; les chanoines sortirent presque tous de leurs formes, et ils n’entendirent pas la sonnette qui annonçait le lever-Dieu. »

Le dimanche suivant, une seconde épreuve, devant un public plus nombreux, n’eut pas un moindre succès. Pour marquer son contentement, « il signor Resta, » qui se trouvait dans l’auditoire, « déclara qu’il donnait les entrées de son spectacle à tous les enfans de chœur de la ville ; aussi vit-on chaque jour une troupe de petits abbés qui venaient apprendre à louer Dieu à la salle de la Comédie. »

Lorsqu’il eut dix-huit ans, Grétry résolut d’aller achever son éducation musicale à Rome. Il partit en la compagnie singulière d’un certain Remacle, contrebandier de son état, ou de l’un de ses deux états, son autre métier consistant à conduire en Italie les jeunes étudians de la ville. Grétry ne demeura pas moins de huit années, au collège des Liégeois, l’hôte et l’élève de Rome, le disciple pieux, vraiment filial de cette musique italienne, « la mère-musique, » ainsi qu’il l’appelle, et que plus tard, même s’éloignant d’elle et ne lui ménageant pas les reproches, il ne cessa jamais d’admirer et dd chérir.

Le premier janvier 1767, Grétry quitta Rome. Il y avait fait représenter, — en italien, — un petit ouvrage. De Genève, où il s’arrêta quelque temps, et donna sa seconde comédie musicale, il alla souvent à Ferney. Voltaire l’accueillit avec ce compliment : « Vous êtes musicien et vous avez de l’esprit. Cela est trop rare, monsieur, pour que je ne prenne pas à vous le plus vif intérêt. » Voilà la bienvenue. Et voici les adieux : « Je fus prendre congé de Voltaire. Je le vis s’attendrir sur mon sort et il paraissait l’envier tout à la fois. Je renouvelais sans doute en son âme le temps de sa jeunesse… Il me dit : « Vous ne reviendrez plus à Genève, monsieur, mais j’espère encore vous voir à Paris. »

Paris attirait le jeune musicien, mais lui faisait peur aussi. « Je n’entrai pas dans cette ville sans une émotion, dont je ne me rendis pas compte. Elle était une suite naturelle du plan que j’avais formé de n’en pas sortir sans avoir vaincu tous les