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en route par une loi d’airain… Et nous ? Devant des imputations sans preuves, pour des faits douteux, survenus hors de nos frontières, est-ce bien à nous qu’appartenait le châtiment ?… »

Toute privée qu’elle était, l’invitation de Huerta soulevait plus d’une difficulté. Pour tout trancher, seule et non sans courage, la jeune femme se rend à la cérémonie du contrat, dans la propre maison de Huerta, où elle se voit avec surprise l’objet de mille égards, conduite par le président à une place d’honneur, sous les regards curieux, un peu narquois sans doute, de l’assistance. Mais, tout de suite, son expérience du monde lui vient en aide. Avec assurance, elle accompagne le cortège à l’église. Suivant de près la famille, au bras d’un des ministres du Cabinet, l’élégant général Rincon Gallarde, elle assiste à tout le service et ne se retire qu’après avoir, dans le défilé de la sacristie, scandé nettement, en correct espagnol, les vœux et complimens d’usage, bien moins émue, remarque-t-elle, de cette suprême rencontre avec le vieux dictateur, qu’elle ne l’avait été au cours du poignant tête-à-tête de la veille.


Aussi bien, tout est fini. Le territoire mexicain est violé par l’envahisseur. Le sang a coulé de part et d’autre. Il faut partir. Si les emballages ne sont faits qu’à demi, qu’importe ! La jeune femme se borne à jeter un regard consterné sur ce qu’elle doit laisser derrière elle : une foule de témoins précieux et familiers de sa vie intime, des photographies signées, des souvenirs de voyage. « Mais, en face de cette catastrophe nationale, s’écrie-t-elle, et devant l’abandon forcé de nos compatriotes à Dieu sait quel destin, je perdais toute idée que quelque chose sur terre fût à moi, ou que les objets pussent avoir une valeur… »

Le soir même, un train spécial, précédé d’un train d’exploration, avec une escorte princière, emportait M. et Mme O’Shaughnessy vers la Veracruz où ils devaient retrouver l’escadre américaine. Ils descendaient le lendemain à 20 kilomètres du port, à Soledad, où l’amiral avait envoyé au-devant d’eux plusieurs de ses officiers qui les menèrent, en toute sécurité, jusqu’à son bord, sur le Minnesota.

Ces dernières pages sont charmantes par l’aisance et le naturel avec lesquels s’y rencontrent des émotions diverses. A