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perfectionné et stylisé par Metternich et devenu une lourde, mais solide machine qui tourne, qui nivelle et qui broie. On se trompe quand on ne veut voir dans la monarchie des Habsbourg que la diversité de nationalités, ayant chacune son histoire, son idéal et ses aspirations : c’est d’abord un puissant organisme gouvernemental et centralisateur dont le principe moteur est la dynastie, la maison de Habsbourg, et dont les deux rouages essentiels sont l’armée et la bureaucratie. Chacun de ces grands organes est marqué du sceau spécial que l’autoritarisme des Habsbourg a imprimé à tout le système et qui est devenu comme la marque distinctive de la vie sociale et gouvernementale en Autriche-Hongrie.

Si la dynastie est la clef de voûte, l’armée est la voûte : elle soutient tout l’édifice. Elle est l’armée de l’Empereur. Quelques concessions que les circonstances puissent l’amener à faire à l’un ou à l’autre des peuples ou des partis de son empire, il n’admet aucune transaction, dès qu’il s’agit de l’armée. Quand Beust et Andrassy négocièrent, le « compromis » de 1867, l’Empereur eut soin d’exiger l’insertion, dans le statut autrichien, de l’article 5 : « Il appartient exclusivement à l’Empereur d’ordonner toutes affaires concernant la conduite, la direction et l’organisation intérieure de l’armée dans son ensemble. »

Administrativement, il y a bien trois armées : l’armée commune, la landwehr autrichienne et la honvéd ; militairement, il n’y en a qu’une, dont l’Empereur est le seul maître. Quand en 1906, la « coalition » arrive au pouvoir à Budapest avec le Cabinet Weckerlé, le Roi la laisse s’agiter et discourir ; mais dès qu’elle met en cause la constitution et l’unité de l’armée, il la brise net. L’armée est le puissant instrument de règne et d’unification aux mains de la dynastie ; l’Empereur veille de près sur elle, l’inspecte, la fait inspecter et commander par les archiducs ; il se montre, parmi les officiers, — lui naturellement hautain et dur, — familier et bienveillant ; et cependant le corps d’officiers n’est pas, comme en Prusse, recruté dans une caste ; il est plus bourgeois qu’aristocratique. L’Empereur protège l’armée et ses chefs, même contre la toute puissante bureaucratie paperassière. M. Steed raconte à ce propos une charmante anecdote bien caractéristique. Pendant l’occupation de la Bosnie-Herzégovine, en 1878, qui fut très dure, un vétéran légendaire, idole de l’armée, le général Galgotzy,