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dans les tranchées du canal ; une fraction de la 11e division territoriale agirait sur le front du 20e corps en liaison avec la brigade ; le « colonel » Delage prendrait la direction de l’attaque.

La nuit avait été calme, sauf les inévitables fusées éclairantes, qui n’avaient pas empêché les bataillons désignés de se rendre sûr leurs emplacemens. Il tombait de la neige fondue ; un « terrain boueux, glacial[1]. » Les officiers, l’œil sur leurs montres, attendaient la fin de la préparation d’artillerie. Elle s’était déclenchée à l’heure convenue : de six heures trente à six heures quarante, toutes les pièces du secteur se concentrèrent sur la grande tranchée allemande et les maisons qui l’avoisinaient[2] ; les gros canons continuèrent encore le feu pendant cinq minutes. Mais l’obscurité empêchait de vérifier les effets du tir, et c’est une tendance assez fréquente chez les techniciens de croire qu’une préparation d’artillerie ayant été exécutée dans telle condition, en tel laps de temps, il s’ensuit nécessairement, mathématiquement, tel effet donné. Nombreux ont été, au cours de cette guerre, et aussi cruels que nombreux, les démentis infligés à cette théorie par l’expérience : nous ne connaissions pas encore toutes les ruses de l’ennemi ; nous ne savions pas quels perfectionnemens il avait su apporter à l’organisation de ses tranchées et comment, par des boyaux de branchement communiquant avec de solides abris provisoires d’où il surgissait, sitôt la préparation d’artillerie terminée, il pouvait procéder à l’évacuation immédiate des points bombardés. Mais, en l’espèce, pour quelques parapets détruits, pour quelques élémens de tranchée bousculés, il semble que l’artillerie n’ait même pas endommagé les chevaux de frise et les barricades de treillis qui hérissaient les abords de la Grande-Redoute sur 20 mètres de largeur et dont les fils de fer barbelés défiaient tous les ciseaux. La plupart des blockhaus étaient intacts, les mitrailleuses à leur poste sous les coupoles blindées des flanquemens. C’est contre cette formidable organisation que se lançaient nos hommes. Mais il est vrai que, trompé par les renseignemens des

  1. Carnet de route du Dr T… à la date du 22.
  2. « 75, 90, 120, font rage aussi bien dans le groupement Hély d’Oissel (le nôtre) que dans le 20e corps. Les Allemands y répondent avec une furie qui m’implante de plus en plus dans mon idée qu’ils ont reçu des renforts d’artillerie. » (Carnet du commandant B…)