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Hetsas, la sombre épaisseur d’un fourré rompait la monotonie du paysage : c’était le fameux bois triangulaire, tant de fois pris et perdu, où les obus avaient ouvert des trouées par lesquelles, dans les temps clairs, on apercevait, comme des minarets, les tours effilées du beffroi d’Ypres.

L’ennemi concentrant tout l’effort de son artillerie sur la partie du front menacée et se contentant de nous envoyer de temps à autre quelques volées de 77, nos « Jean Gouin, » déjà si peu défians de leur nature, en profitaient pour se livrer à toutes sortes de manèges imprudens. Malgré ses avertissemens, le lieutenant de vaisseau de Malherbe eut ainsi deux hommes tués coup sur coup dans sa tranchée : il leur avait suffi de lever la tête. « Les Allemands tirent probablement avec fusil sur chevalet, » dit de Malherbe, observation confirmée par le commandant Geynet : « Les hommes sont surtout dégringolés par des officiers qui, abrités dans des fermes, tirent sur chevalet ayant des points de repère. » Au total et en grande partie du fait de ces imprudences, la journée du 6 décembre nous coûta 5 tués et 14 blessés, dont l’enseigne de Cornulier-Lucinière, qu’un éclat d’obus vint frapper au poumon gauche, près de la Maison du Passeur, comme il dirigeait les travaux d’amélioration de sa tranchée. Sur ce côté seulement du secteur, l’action de l’artillerie ennemie était assez forte, en raison de l’attaque prononcée par les Joyeux. À cinq heures du soir, on apprenait que les derniers boyaux qui flanquaient la Maison du Passeur avaient cessé leurs convulsions. Mais les pertes des Joyeux étaient lourdes, puisque la moitié du détachement restait sur le carreau avec son chef, le lieutenant P…, atteint à l’œil par l’explosion du magasin de son fusil.

Ce n’était là d’ailleurs qu’un succès tout partiel, comme ceux que nous avions remportés, les jours précédens, au Nord de la Lys et à Weindreft. Mais l’ennemi semblait avoir accusé le coup. D’un bout à l’autre du front de Belgique, son activité se ralentissait[1] et, comme notre imagination prend facilement le galop, nous le voyions déjà tout démoralisé et prêt à faire

  1. « L’ennemi n’est pas très mordant… Les Prussiens sont assez abattus. » (Commandant Geynet. Lettre du 12 décembre.) Plus loin, il dit qu’ils « tirent avec des obus d’exercice, » ce qui semble prouver qu’ils manquent de munitions. Et le 16 : » L’ennemi est de moins en moins audacieux. Mon impression est qu’il est en grande partie retiré, etc. »