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personnalité, les princes nés dans la pourpre, s’ils ont souvent un sentiment élevé de la fonction et de la dignité royale, pèchent presque toujours par un égoïsme foncier et un autoritarisme sans bornes. François-Joseph n’a pas échappé à cette règle. Dès que la conscience s’est éveillée dans son cerveau d’enfant, il s’est regardé comme un être supérieur aux autres humains, né pour commander comme les autres pour obéir. Quand il s’agit d’un homme de cette catégorie, qui n’a jamais cessé d’être en représentation et de parader dans un uniforme, il devient très difficile de retrouver le fond naturel du caractère dont la contrainte et l’étiquette ont refoulé les instincts et paralysé le développement.

François-Joseph avait une intelligence moyenne, non sans finesse, mais sans élévation, sans envergure, sans pénétration ; la tournure de son esprit était essentiellement pratique. Sa culture était médiocre ; il ne possédait bien que l’allemand et le français. Bien plutôt que vers les lettres ou les arts, son tempérament l’entraînait aux exercices de plein air, aux sports ; il fut dès sa jeunesse un écuyer consommé, un chasseur robuste et adroit. Au fond de sa nature vraie, il y a un tempérament violent, brutal même, autoritaire et sensuel, adouci par quelque bonhomie. Ce sont là les goûts d’un hobereau allemand ; ce sont aussi ceux d’un bourgeois de Vienne qui chaque dimanche émigré vers les sites pittoresques et les chasses giboyeuses de la banlieue. Redouté partout, François-Joseph ne fut vraiment aimé que des Viennois, dont il partageait les goûts et les vices, et des Tyroliens dont les montagnes et les forêts l’attiraient chaque été. Quand il passait, en ces dernières années, par le Ring et la Mariahilferstrasse, s’en allant à Schönbrünn au grand trot de ses chevaux, il était accueilli comme un vieil ami qu’on est heureux de revoir, salué d’un geste familier, d’un signe de tête, d’un chapeau gaiement agité. D’ailleurs, n’était-ce pas un bourgeois de Vienne, ce chasseur passionné qui aimait à s’en aller seul, le fusil à la main, la pipe à la bouche, à la poursuite des chamois et des coqs de bruyère ? N’était-ce pas aussi un bourgeois de Vienne, ce vieux « colonel » qui, presque chaque jour, depuis tant d’années, s’en venait chez Catherine Schratt, l’ancienne actrice du Burgtheater, la vieille amie qui avait su fixer le volage époux de la noble Elisabeth ? Il retrouvait là quelques amis